DEEPFLIX
Lecteur, que fais-tu ? Tu ne résistes pas ? Tu ne t'enfuis pas en sachant qu’une intelligence artificielle a peut-être écrit encore ces quelques mots que tu es en train de lire ? Tu veux quand même savoir si cette fiction a été écrite par ma main ou par celle d’une machine ? En disant que mon mémoire était un mensonge, j’ai peut-être menti en prétendant mentir. En écrivant Deepflix, j’ai décidé de devenir délibérément une sorte d’artisan du code alphanumérique, un pseudo-écrivain, qui organise la manipulation consciente de bouts de langage préexistants. N’est-ce pas nous-mêmes que nous exprimons de façons différentes lorsqu’on fait quelque chose d’aussi mécanique que recopier quelques paragraphes ? Ne sommes-nous pas un amalgame des livres que nous avons lus, des films que nous avons vus, des émissions de télévision que nous avons regardées, des chansons que nous écoutons, des sites internets que nous avons traversés ? Un fragment de Scorsese, un accent de Calvino, un article de Libération, deux paragraphes de Vian, servez chaud avec un zeste de Baudrillard. Changez un mot ici, la ponctuation là, l’essai anthropologique devient une fiction d’anticipation...
— Quentin Bitran
DEEPFLIX
Version 10.15.14
Une fois l’illusion de l’automation intelligente dissipée, je tiens à remercier infiniment toutes les personnes présentes dans les coulisses de ce théâtre de marionnettes Deepflixien. Je veux faire apparaître la réalité du digital labor : l’exploitation des petites mains de l’intelligence « artificielle », de ces myriades de microtravailleurs rivés à leurs écrans qui, confinés à domicile se sont attelés à la lecture et relecture de mon mémoire :
Manon Gitany-Lecomte, Adrien Chuttarsing, Joël-Oscar Dossa, Kenji Luyeye, Joséphine Gautié, Annick Gitany, Valentine Touzet, Paul Capdenat-Cristy, Vincent Vialla, François De Livron, Maugan Peniguel, Soufiane Adel, Louis Charron, Johan Da Silveira, Françoise Hugont, Marie Lejault, Françoise Courbis…
Quentin Bitran  —————————————  Mémoire sous la direction d’Aurélien Fouillet
Ensci Les Ateliers  —————————————————————————  Janvier 2021
CHAPITRE 1
8h00 - Je me réveille au son de
« La réalité semble avoir imité, voire attesté, la fiction. Sommes-nous devenus des personnages réels d’une série apocalyptique dont la fin reste indéterminable ? Malgré les troublants rapprochements visuels, une série Netflix qui filmerait tel quel l’épidémie du Covid-19 risquerait d’être ennuyeuse. Il n’y a rien de spectaculaire dans notre quotidien au temps de l’épidémie. »
J’ai l’impression de devenir fou entre les quatre murs de ma chambre avec la frise bleue à coquillages et crustacés, qui m’encercle depuis mes trois ans.
J’ai besoin de me calmer. J’allume ma chaîne
« L’actualité n’a malheureusement pas permis de terminer la post-production du final de la saison 13 de The Walking Dead. La saison en cours se terminera avec l’épisode 12, le 21 avril prochain. Les producteurs ne savent pas quand ils pourront la terminer au regard des récents évènements[...] »
« L’actualité n’a malheureusement pas permis de terminer la post-production du final de la saison 10 de The Walking Dead. Donc la saison en cours se terminera avec l’épisode 15, le 5 avril prochain, prévient le président de AMC dans un communiqué. Ce final sera diffusé sous la forme d’un épisode spécial plus tard dans l’année...»
Mon téléphone s’allume au coin du canapé, il est 21h00, l’écran de mon
Messenger Vincent V. il y a 1 min :
« Crée-toi un compte ! C’est trop lourd. Pièce jointe url »
J’ouvre mon ordinateur hâtivement et clique sur le lien dans la conversation. Le site se lance : « DEEPFLIX : le streaming illimité généré par IA ».
Bizarre, je ne vois aucun contenu à prévisualiser. Je dois me connecter avec mon compte
AKIROSS_1002
« Bonjour Quentin et bienvenue sur DEEPFLIX
Pour générer le film ou la série de vos rêves, cliquez ici. »
Je clique. Je dois sélectionner un genre : Action, Aventure, Drame, Horreur, Jeunesse, Romance, Science-Fiction...la liste est longue. J’ai clairement besoin de me détendre, je clique sur Comédie. S’affichent alors les meilleurs acteurs et actrices de tous les temps. Je scrolle. La base de donnée est infinie. Je suis tenté de mettre en aléatoire. Finalement, je ne résiste pas et clique sur trois noms :
C’est sûr que ça va jamais marcher. Encore un site qui survend à coup de formules marketing son intelligence superficielle. Pourquoi il m’a envoyé ça Vincent ? Je décide de continuer quand même et sélectionne, sans hésiter cette fois,
C’est la dernière étape, je dois choisir la langue et la durée du film. Français, 90 minutes.
Apparaît un bouton CRÉER MON FILM, je suis super excité, je clique.
Une barre de progression s’affiche. J’attends sans savoir réellement combien de temps ça va durer.
...
generate/lights/translating/generate scriptscalling
calling startuppanels/render face/render environments facial_action_coding_system..
calling DCGAN/calling discriminator/kernel_size=(4, 4)
...
La barre de progression avance lentement. Elle fait le même bruit que la Batpod dans Dark Knight. J’attends. Même pas 5%, j’ai le temps d’aller me chercher un
Un canard se dandine joyeusement et s’avance jusqu’au milieu de l’écran, il ouvre alors son bec et se fige laissant apparaître, en lettres bold, un logo dans une typographie inconnue :
DEEPFLIX : news corporation company
Le film s’ouvre sur une vue aérienne de la baie de Saint-Tropez. Pendant quelques secondes, la caméra se perd dans l’abstraction du bal de la houle. Un magnifique voilier surgit d’un bord de mon écran. Brutalement, la caméra abandonne le plan aérien pour effectuer un plan américain d’une partie d’échecs sur le pont avant du deux-mâts. Les plans rapprochés sur les pièces d’ébène sculptées et peintes à la main sont suivis d’un très gros plan sur le visage d’
— Cavalier prend fou, échec.
Progressivement, un son britpop de
CHAPITRE 2
Six mois et trois jours plus tard. « Alors qu’Hollywood est en train de faire face à la pire crise existentielle de son histoire, la start-up américaine Deepflix, qui développe un service de streaming 100% généré par de l’IA, vient de lever 750 millions de dollars, rapporte le Wall Street Journal. Les investisseurs de ce tour de table n’ont pas été dévoilés, mais le quotidien américain assure que des investisseurs historiques, à l’image d’Amazon, ont participé à l’opération. Au total, Deepflix a collecté depuis le début du confinement 670 millions de dollars. Cette enveloppe paraît cependant dérisoire par rapport aux sommes déboursées par les géants du secteur, à l’image de Netflix qui a consacré 15 milliards de dollars à la production de contenus originaux l’an passé.
« Avant son lancement le 6 avril prochain, Quibi continue de se renforcer. La start-up américaine, qui développe un service de streaming 100% mobile, vient en effet de lever 750 millions de dollars supplémentaires, rapporte le Wall Street Journal. Les investisseurs de ce tour de table n’ont pas été dévoilés, mais le quotidien américain assure que des investisseurs historiques, à l’image d’Alibaba, ont participé à l’opération. Plus tôt cette année, la société avait déjà 400 millions de dollars.»
Toutefois, Deepflix fait un autre pari : celui de vidéos générées à la demande et en illimité par une IA.
La société promet des contenus rivalisant avec les meilleures productions hollywoodiennes... Nous sommes allés à la rencontre des créateurs de cette startup pour un reportage exclusif ! »
[Vue aérienne de studios déserts à Hollywood.]
« Ces rues désertes étaient, il y a encore quelques semaines, le lieu de rencontre de toutes les stars de la jet-set de l’industrie hollywoodienne… Nous avons retrouvé, à seulement quelques kilomètres de là, l’homme qui a tout fait basculer : Ed Ulbrich, le co-fondateur et CEO de la startup Deepflix.»
[Travelling sur le quartier San José, sous un soleil de plomb, quelques skateurs masqués arpentent les rues.]
« Il est 14h00 dans le quartier Evergreen de San José et nous retrouvons Ed dans son garage avec son associé. »
Moniteurs de toutes les tailles, disques durs 5 Tera, consoles de jeux vidéos dernière génération, disques Blu-Ray, équations mathématiques parsèment le sol. Voilà à quoi ressemble le QG de la startup licorne valorisée à plusieurs milliards de dollars depuis seulement quelques semaines.
— Je suis désolé pour ce joyeux bordel. Suivez-moi ! lance Ed à la caméra.
[Un plan séquence suit le créateur et son associé jusque dans la salle de bains où la caméra effectue la mise au point sur une sorte d’animal artificiel : moitié-robot, moitié-canard.]
— Vous savez ce que c’est ? dit Ed en pointant du doigt l’animal au bord de la baignoire.
— Non, aucune idée, mais je ne mettrais pas cela dans ma salle de bain, répond promptement le journaliste.
— C’est le canard digérateur de Jacques Vaucanson, mécanicien français. Ce canard est trois fois plus vieux que la somme de l’âge de mes associés et moi réunis ! Celui de cette salle de bain est une réplique exacte de l’automate en cuivre du XVIIIe siècle. Ce canard artificiel de cuivre doré boit, mange, cancane, barbote et digère comme un vrai canard, explique d’un ton fasciné le CEO. Il est possible de programmer ses mouvements, grâce à des pignons placés sur le cylindre gravé que vous voyez là, qui contrôle les baguettes, ici, traversant les pattes.
« Ce canard artificiel de cuivre doré boit, mange, cancane, barbote et digère comme un vrai canard. Les ailes étaient représentées, os par os, d’un mécanisme identique à ceux des vrais oiseaux. Il était possible de programmer les mouvements de cet automate, grâce à des pignons placés sur un cylindre gravé, qui contrôlaient des baguettes traversant les pattes du canard. Le mécanisme, placé dans l’imposant piédestal, était laissé visible par tous, dans le but de montrer la complexité du travail accompli..» Alors, vous allez me poser la question : « Pourquoi je vous montre ça ? »
Il sort trois graines de son jean et les montre une par une à la caméra :
— Disons que celle-ci c’est
Il les rapproche du bec du canard et tout d’un coup celui-ci allonge son cou et commence à diviser les graines pour faciliter leur ingestion. On entend ensuite des frottements de mécanique en cuivre et des grincements de tuyauterie.
David Carlson, l’associé d’Ed, termine son café en vitesse et lui tend sa sous-tasse qu’il positionne sous le sphincter de l’animal. Le canard éjecte alors une substance visqueuse, luisante aux reflets iridescents. Il montre le résultat à la caméra.
— Et voilà... le film est prêt ! C’est donc en observant cet ingénieux mécanisme que l’idée de Deepflix nous est venue. Les graines ce sont les intrants, elles servent de nourriture à une machine qui les transforme instantanément en une matière unique et inédite. Si vous changez les graines, le résultat diffère. Deepflix c’est un peu le canard de Vaucauson du XXIe siècle, énonce fièrement Ed alors que le canard éjecte encore un peu de substance sur le sol et provoque un silence gênant dans la salle de bain.
Magnanime, le journaliste reprend :
— C’est vraiment de cet oiseau que vous est venue cette idée de créer Deepflix ?
D’un sourire satisfait, David brandit son smartphone pour montrer des photos :
— Tout est parti de ces photos du chat d’un pote, transformées en quelques secondes en peinture de
« Après tout, les grands réalisateurs, comme les écrivains et peintres intemporels, se reconnaissent à leur style unique. Ils synthétisent la culture du moment en une singularité exceptionnelle, rapidement identifiable qui correspond à leur signature, leur ADN artistique.» Si je vous dis un film « façon
— Bon avant de s’attaquer aux réalisateurs, reprend Ed, nous avons commencé par les genres. Au début, nous avons nourri GPT-7 avec 100 films de science-fiction. Il nous a pondu un film avec un scénario incroyable mais une mise en scène très insipide. À la fin du visionnage, la première chose que nous voulions faire c’était recommencer et générer plein d’autres films. On a donc donné tous les films qu’on a trouvé à GPT-7 pendant quelques semaines, à tel point qu’Amazon Prime nous a appelés en nous interrogeant sur notre activité frénétique et suspecte d’utilisation de leur service. Personne n’avait regardé autant de films en aussi peu de temps sur leur plateforme.
Nous leur avons alors parlé de GPT-7, puis « de fil en aiguille », nous en sommes arrivés à posséder, aujourd’hui, toute l’Internet Movie Database (IMDb), à partir de laquelle nous pouvons générer des films et séries à la demande et en illimité. On réduit le travail d’années, mois ou semaines en quelques heures avec notre moteur GPT-7 — c’est ça la force de l’IA !
« From a 90-minute movie, our system provided our filmmaker a total of six minutes of footage. From the moment our system watched “Morgan” for the first time, to the moment our filmmaker finished the final editing, the entire process took about 24 hours. Reducing the time of a process from weeks to hours – that is the true power of AI
[...]. AI is being put to work across a variety of industries; helping scientists discover promising treatment pathways to fight diseases or helping law experts discover connections between cases. Film making is just one more example of how cognitive computing systems can help people make new discoveries.»
— Vous parlez d’optimisation avec l’IA, mais quel est votre regard sur cette technologie ? lâche le journaliste
David rétorque avec dédain :
— L’IA présente l’opportunité d’augmenter notre intelligence collective et individuelle. Elle est aujourd’hui vecteur de transformation bénéficiaire et inclusive au service de diverses industries ; elle aide par exemple les scientifiques à découvrir des voies de traitement prometteuses pour lutter contre les maladies ou les juristes dans les études statistiques de cas ou encore améliore la gestion des déchets en optimisant les processus de tri et de valorisation.
— Et à Hollywood, ils en pensent quoi ? conclut le journaliste avec un sourire sarcastique.
[Blip]
Je décide de zapper. Une, deux, trois chaînes, ça parle encore de Deepflix dans l’émission 25’ inside avec une interview de
Matthew McConaughey chez lui :
— Mes enfants l’utilisent bien sûr. Ils ont déjà vu tous les Disney et Pixar en boucle depuis le début du confinement. Ils ne tiennent plus en place à la maison et il faut bien les occuper. Deepflix c’était LA solution !
— Vous n’avez pas peur pour votre métier d’acteur ?
— Mon avocat m’a fait signer en ligne un contrat qui stipule clairement les conditions d’utilisation de mon droit à l’image et de mon double virtuel. Les chiffres sont confidentiels mais je peux vous assurer que c’est une opportunité en or. Surtout par les temps qui courent. Bien sûr ça fait mal au cœur quand on voit que les studios de cinéma sont vides, mais Hollywood sait se réinventer et Deepflix c’est son futur.
[Bruit d’enfants qui jouent]
— Fiouuuu psshhhhh piou piou piou.
— Levi arrête de jouer avec ce vaisseau, la dernière fois il a atterri dans l’œil de ta sœur.
La femme de Matthew passe devant la caméra et confisque le jouet en bois des mains de l’enfant.
— Et vous en pensez quoi vous de tout cela madame Alves ?
— Matthew n’est plus à l’autre bout de la planète sur un tournage. Nous ne sommes plus obligés de devoir manger du poisson tous les jours pour qu’il perde 20 kilos afin de donner la réplique à un meurtrier mythomane en cavale. Depuis Deepflix, il peut enfin se consacrer vraiment à sa vie de famille, confesse Madame Alves avec un grand sourire de satisfaction.
[Pub tv]
[Voix-off et mélodie au piano nostalgique]
FERMEZ LES YEUX ET IMAGINEZ VOUS UN MONDE SANS SPOILER.
IMAGINEZ UN FILM AVEC LE CASTING DE VOS RÊVES ET VOTRE RÉALISATEUR PRÉFÉRÉ.
C’EST MAINTENANT POSSIBLE DEPUIS VOTRE CANAPÉ AVEC DEEPFLIX.
CHAPITRE 3
[Le Canard Deepflix se dandine à l’écran sur une voix-off de
Ceci n’est pas un canard comme les autres.
Vous voilà au tout début du long tube digestif de ce canard dans lequel chaque histoire commence.
Peut-être n’avez vous jamais été au centre de l’attention ou déclaré ennemi public numéro un ?
« Peut-être n’avez vous jamais été au centre de l’attention ou déclaré ennemi public numéro un ? Peut-être n’avez vous jamais soulevé une armée, réalisé un rêve d’une nation ou été pape et encore moins le prochain pape ? Peut-être n’avez vous pas encore ressenti l’amour ou juste appris à vous aimer ? Peut-être n’avez vous jamais été placé derrière les barreaux pour un crime que vous n’avez pas commis ? Et peut-être n’avez vous pas vu le monde s’effondrer ou se renverser alors même que vous le faîtes bouger. Peut-être n’avez vous pas encore tout vécu ?»
Peut-être n’avez vous jamais soulevé une armée, réalisé un rêve d’une nation ou été pape et encore moins le prochain pape ?
Peut-être n’avez vous pas encore ressenti l’amour ou juste appris à vous aimer ?
Peut-être n’avez vous jamais été placé derrière les barreaux pour un crime que vous n’avez pas commis ?
Et peut-être n’avez vous pas vu le monde s’effondrer ou se renverser alors même que vous le faites bouger.
Peut-être n’avez vous pas encore tout vécu ?
Voilà pourquoi dans ce long intestin transitent toutes les histoires qui vous constituent et vous rapprochent. Une fontaine de l’imaginaire qui vous fait comprendre tout ce qui vous fait vibrer, vous transporte de votre canapé jusqu’à l’île de votre inconscient. Après le long plan séquence, partant du bec du canard, passant par les intestins fluorescents, nous nous retrouvons à la sortie d’une fontaine d’
— Bonjour et bienvenue ! Nous sommes très heureux que vous ayez pu vous joindre à nous aujourd’hui. Nous avons des annonces de features très excitantes à partager avec vous !
Alors que nous continuons à traverser ces temps difficiles et à faire face aux défis que pose la Covid dans nos communautés à travers le monde, je suis fasciné quand je vois la façon dont les gens se sont adaptés : travail à distance, éducation à la maison, apéros virtuels…Nous sommes honorés de voir le rôle que notre plateforme a également joué en aidant nos utilisateurs confinés à s’évader ! Chez Deepflix, nous nous sentons responsables de continuer à innover pour enrichir la vie de millions de gens de manière significative en perpétuant la fabrique des imaginaires du cinéma.
« Bonjour et bienvenue ! Nous sommes très heureux que vous ayez pu vous joindre à nous aujourd’hui. Nous avons des annonces de features très excitantes à partager avec vous !\nAlors que nous continuons à traverser ces temps difficiles et à faire face aux défis que pose le Cuvid dans nos communautés à travers le monde, je suis fasciné quand je vois la façon dont les gens se sont adaptés : travail à distance, éducation à la maison, apéros virtuels... Nous sommes honorés de voir le rôle que notre plateforme a également joué en aidant nos utilisateurs confinés à s’évader ![...]»
Aujourd’hui est un grand jour, nous allons vous présenter deux nouveautés de la plateforme !
Mais tout d’abord, nous avons rencontré quelques uns de nos utilisateurs. Écoutons ensemble leur histoire.
[Fondu au noir avec une mélodie au violon et piano entremêlée de portraits vidéos]
— Cher Deepflix, je m’appelle Kate, depuis toute petite je suis claustrophobe. Grâce à Deepflix, j’ai réussi à vaincre ma phobie dans 14m2. J’ai pris l’ascenseur de mon immeuble la semaine dernière pour la première fois.
— Bonjour je m’appelle, Georges j’ai 75 ans. Je suis un ancien pilote de course et cela va faire maintenant 10 ans que je n’ai pas touché à une voiture, à cause de mes problèmes de vue. Mais depuis quelques semaines, j’ai pu être au volant d’une Aston Martin DB5, une V12 Vanquish, une DB10, une Vantage Roadster. Il me tarde d’essayer la dernière Victor By Q.
— Salut moi c’est Akira, je suis malvoyante, j’ai 30 ans. À ce jour, Netflix France contient 12 films et 13 séries en audiodescription. Depuis le confinement, merci à Deepflix, j’ai pu regarder 3 fois plus de films en 2 mois que ces vingt dernières années. Ce sont les meilleures séances de cinéma auxquelles j’assiste depuis très longtemps ! Lors de la bataille finale du dernier film de
Nous basculons à nouveau dans le salon avec le CEO, ému.
Ed se retourne alors vers une étagère derrière lui et saisit une édition originale de 1965 de Dune signée par Franck Herbert et s’adresse à la caméra :
— Vous étiez resté sur votre fin avec l’adaptation de Fincher puis celle de Villeneuve qui n’a visiblement fait plaisir qu’à une seule personne, Villeneuve lui-même ?
Aujourd’hui, je suis heureux de vous présenter la fonctionnalité ALAMO, un mariage subtil entre l’amour de la littérature et la puissance technologique du moteur Deepflix. Vous allez maintenant pouvoir générer les adaptations de vos classiques en seulement quelques clics. Pour cela rien de plus simple, scanner la première et quatrième de couverture de votre livre à partir de l’application Deepflix ! Grâce à nos dernières techniques de reconnaissance visuelle nous pouvons détecter si vos livres sont bien authentiques ! C’est magique ! Cette fonctionnalité sera disponible pour seulement 14.99€ par mois supplémentaires pour les abonnements HOLO premium avec la possibilité de scanner jusqu’à 10 livres !
[Applaudissments virtuels]
— Et ce n’est pas terminé ! Je vous ai promis deux nouvelles features inédites ce soir, ALAMO était la première. À présent, place à la deuxième.
Ed se dirige maintenant vers une autre étagère de sa bibliothèque. Il sort le DVD du film
— Choisis la pilule bleue, et tout s’arrête. Après tu pourras faire de beaux rêves, et penser ce que tu veux. Choisis la pilule rouge, et tu restes au Pays des Merveilles et on descend avec le Lapin Blanc au fond du gouffre. N’oublie pas, je ne t’offre que la vérité, rien de plus.
« Choisis la pilule bleue, et tout s’arrête. Après tu pourras faire de beaux rêves, et penser ce que tu veux. [...] Choisis la pilule rouge, et tu restes au Pays des Merveilles et on descend avec le Lapin Blanc au fond du gouffre. N’oublie pas, je ne t’offre que la vérité, rien de plus.»
Ed Ulbrich prend la pilule bleue et se transforme en
Le visage de
— Vous vouliez voir
Soudainement, le désert est aspiré dans un vortex. Il ne reste plus qu’un pont de cordes suspendues. Des sbires encerclent maintenant l’acteur
— Mola Ram, préparez vous à rencontrer Kali en enfer !
« Mola Ram, préparez vous à rencontrer Kali en enfer !»
Il coupe le pont de corde d’un coup sec, à l’aide de son sabre et atterri dans une artère de
Hulk sourit à la caméra, tel Yuri Orlov dans Lord Of War, avant de la détruire d’un coup de poing dévastateur.
On est enfin de retour dans le salon du début de la Keynote Deepflix. Ed a retrouvé son vrai visage :
— Cette fonctionnalité INFLEXIO sera disponible pour seulement 7.99 euros par mois. Toutes ces nouvelles innovations présentées aujourd’hui seront disponibles à partir de demain !
Nous sommes très excités de découvrir tout ce que vous allez pouvoir créer avec les innovations du jour. Restez chez vous en sécurité !
CHAPITRE 4
Je suis plongé dans ma sieste de début d’après-midi quand, vers 14h, j’entends sonner à la porte. Je m’extirpe de mon lit, encore engourdi, passe la tête sous l’eau froide du robinet et me dépêche d’aller répondre. Sur l’écran de l’interphone, j’aperçois un homme en uniforme dont le visage est caché par une casquette marron ornée d’un logo familier.
— Bonjour, j’ai un colis au nom de Monsieur Bitran Quentin !
— Oui c’est bien moi, vous pouvez le déposer devant le portail.
Le livreur dépose avec précaution un paquet au pied du portail et tandis qu’il repart sans me demander de signer le bon de livraison, je le regarde s’éloigner. Un bruit de moteur retentit puis diminue et se perd dans les rues. Je descends récupérer le colis. Après m’être lavé les mains en hâte, je peux enfin l’ouvrir avec l’enthousiasme d’un enfant découvrant ses cadeaux au pied du sapin. Je découvre une petite boîte rectangulaire blanche sur laquelle est gaufrée une matrice en relief.
Elle me rappelle le jeu d’automate cellulaire imaginé par John Horton que j’avais appris à coder à l’université. À l’intérieur de cette mystérieuse boîte, je trouve une combinaison en lycra rouge vermillon. Je remarque des patchs noirs, situés sur chaque articulation de la pièce de textile. Je ferme les rideaux, enfile la combinaison et ouvre mon ordinateur avec fébrilité.
« Autorisez vous Deepflix à accéder à votre caméra et à votre micro ? »
Je croirais voir Wade Wilson alias Deadpool à travers la webcam de l’écran de mon ordinateur. Je lance alors à mon double pixellisé :
— Un grand pouvoir entraîne de grandes irresponsabilités.
« Un grand pouvoir entraîne de grandes irresponsabilités.»
« Placez-vous bien devant la caméra nous allons procéder au scan de vos expressions faciales. »
…
Scanning…
Measurements
Expressions
Ethnicity European
InnerBrownRaise : 0.06
LipPress : 0.90
LipPucker : 0.00
Attention 95.70
Fear: 0.20
Surprise: 10.56
Valence : 0.30
Engagement : 75.08
…
« Reculez maintenant de quelques mètres puis clignez des yeux quand vous êtes en position pour effectuer le calibrage de vos mouvements.»
Les variations incomplètes d’un cube s’animent en guise de chargement pendant quelques secondes.
« Veuillez maintenant effectuer une rotation de 360 degrés sur vous-même.»
Je vois alors les arrêtes du cube se transformer en une sorte de squelette au graphisme minimaliste reproduisant chacun de mes mouvements à la perfection.
Une note aiguë très brève au métallophone m’indique l’achèvement de mon scan, redoublant mon taux d’excitation après le sublime effet de transition.
« Veuillez à présent lire cet extrait de Fight Club ®, 1999, David Fincher à haute voix en articulant :
Chaque mot que vous lisez de ce texte inutile est une autre seconde perdue dans votre vie. N’avez-vous rien d’autre à faire ? Votre vie est-elle si vide que, honnêtement, vous ne puissiez penser à une meilleure manière de passer ces moments ? Ou êtes-vous si impressionné par l’autorité que vous donnez votre respect et vouez votre foi à tous ceux qui s’en réclament ? Lisez-vous tout ce que vous êtes supposé lire ? Pensez-vous tout ce que vous êtes supposé penser ? Achetez-vous ce que l’on vous dit d’acheter ? Sortez de votre appartement. Allez à la rencontre du sexe opposé. Arrêtez le shopping excessif et la masturbation. Quittez votre travail. Commencez à vous battre. Prouvez que vous êtes en vie. Si vous ne revendiquez pas votre humanité, vous deviendrez une statistique. Vous êtes prévenu...»
[…]
Quelques minutes plus tard.
Je transpire dans ma combinaison et continue à me poser tout seul des questions :
— Lire un texte à haute voix et quelques mouvements devant ma caméra, c’est tout ? Pas de chorégraphie débile Tik-Tokesque ? Je peux enlever ma combinaison peut-être ?
Trop tard le film démarre.
Un tambour rythme les crédits d’un générique, digne de
La caméra pivote rapidement de l’autre côté du ring. Suprise, c’est moi son adversaire, je saigne du nez, le regard vide. Mon coach est en train de me remettre les idées en place.
La cloche sonne...
CHAPITRE 5
[Email sponsorisé TED Talks Daily]
NETFLIX LE MONDE D’AVANT, DEEPFLIX LE MONDE D’APRÈS ?
Dans un échange à distance avec Chris Anderson, curateur de TED, Ed Ulbrich, co-fondateur et CEO de Deepflix, explique son puissant algorithme, son aversion pour Netflix, son amour pour le cinéma, et évoque les milliards de dollars d’investissements prévus cette année pour la plateforme révolutionnaire qui a la lourde responsabilité de sauver le cinéma.
« Netflix a changé le monde du divertissement : tout d’abord en envoyant des DVDs par courrier, puis en proposant des contenus en streaming, et enfin en faisant sensation en produisant des séries inédites comme « Orange is the New Black » et « Stranger Things » mais cela ne s'est pas fait sans risques. Dans un échange avec Chris Anderson, le curateur de TED, le co-fondateur et PDG de Netflix Reed Hastings explique l'audacieuse culture d'entreprise de Netflix, son puissant algorithme qui alimente les recommandations, les huit milliards de dollars d'investissements prévus cette année, et sa quête philanthropique pour soutenir, entre autres, une éducation innovante. »
Chris Anderson : Je suis fasciné et émerveillé par les multiples possibilités de Deepflix que j’ai eu l’occasion de tester très récemment.
Après avoir essayé d’interviewer vos associés de nombreuses fois, personne ne veut vraiment me raconter comment fonctionne votre service de streaming. Vous pouvez m’en dire plus ?
Ed Ulbrich : Deepflix est un peu comme l’Opéra dans son temps. Du lieu où vous êtes, vous ne voyez pas le théâtre tout à fait comme il est. On a disposé les décors et les machines pour faire de loin un effet agréable, et on cache à votre vue ces roues et ces contrepoids qui font tout les mouvements. En général, vous ne vous embarrassez guère de deviner comment tout cela se joue, non ?
« Sur cela, je me figure toujours que la nature est un grand spectacle, qui ressemble à celui de l’opéra. Du lieu où vous êtes à l’opéra, vous ne voyez pas le théâtre tout à fait comme il est : on a disposé les décorations et les machines pour faire de loin un effet agréable, et on cache à votre vue ces roues et ces contrepoids qui font tous les mouvements. Aussi ne vous embarrassez-vous guère de deviner comment tout cela se joue. Il n’y a peut-être que quelque machiniste caché dans le parterre, qui s’inquiète d’un vol qui lui aura paru extraordinaire, et qui veut absolument démêler comme ce vol a été exécuté. »
Chris Anderson : C’est vrai...
Ed Ulbrich : On peut l’appliquer au cinéma. Ne préférez-vous pas découvrir un film dans votre canapé, vierge de tout préjugé ou de tout commentaire ? C’est quand même l’un des plus grands plaisirs en tant que spectateur, non ?
« Christopher Nolan : Ah ah. Vous allez être déçu, mais non. Je préfère que vous le découvriez en salles, vierge de tout préjugé ou de tout commentaire. C’est quand même l’un des plus grands plaisirs en tant que spectateur, non ?»
Chris Anderson : Ah ah oui c’est sûr ! Mais pourriez-vous tout de même nous dévoiler, en exclusivité, quelques secrets de votre potion magique combinatoire explosive ?
Ed Ulbrich : Aujourd’hui, les algorithmes exploitent notre paresse naturelle, notre attirance pour le confort, de ne voir ou de ne revoir ce que l’on déjà vu et revu, notre goût de l’obéissance, notre vulnérabilité, nos addictions. La réalité c’est que l’algorithme est un circuit de validation objectif, qui nous fige dans nos pratiques et nous fait tourner en rond ! Il s’auto-valide en constatant la régularité de comportements qu’il contribue à rendre réguliers, comme une prophétie autoréalisatrice ! Nous, ce que nous recherchons chez Deepflix, c’est perturber et transformer ce paradigme de l’algorithme performatif.
« Ce qui vaut pour un choix de film vaut pour le reste : les algorithmes exploitent notre paresse naturelle, notre attirance pour le confort, de ne voir ou de ne revoir ce que l’on déjà vu et revu, notre goût de l’obéissance, notre vulnérabilité aux addictions, à notre propension au grégarisme, à ne pas dévier des schémas de l'habitude, qu'ils encouragent afin d'assurer de leur validité, en un circuit de validation objectif, qui nous fige dans nos pratiques et nous fait tourner en rond. Autrement dit, l'algorithme est performatif, il s’auto-valide en constatant la régularité de comportements qu’il contribue à rendre réguliers, comme une prophétie autoréalisatrice. » Nous avons besoin d’utopies, de récits, de héros et d’anti-héros, de pirates et d’aventurières. D’images qui viennent se superposer aux statistiques, aux concepts, aux pourcentages, aux degrés, les incarner... et apporter au monde un supplément de poésie et de sensibilité...
« La fiction a longtemps été considérée comme un simple vecteur de diver- tissement et d’évasion. Aujourd’hui encore, dans le milieu militant, c’est plus communément par les essais que se transmettent les idées et la réflexion. La littérature de fiction a pourtant un potentiel politique immense. Nous avons besoin d’utopies, de récits, de héros et d’anti-héros, de pirates et d’aventurières. De mots qui viennent se superposer aux statistiques, aux concepts, aux pourcentages, aux degrés, et les incarner. Qui viennent décadrer le réel et éprouver nos sens. Qui apportent au monde un supplément de poésie et de sensibilité. »
Chris Anderson : Je comprends mais vous n’avez toujours pas répondu à ma question sur le fonctionnement de votre boîte noire : GPT-7 haha (qui nous fait tous fantasmer) ?
Ed Ulbrich : Hahaha, oui j’y viens ! Vous préférez la version longue ou courte ?
Chris Anderson : Les deux !
Ed Ulbrich : Imaginez que vous êtes sur la place du marché, samedi matin, il est 10h00, vous faites votre sélection de fruits, de légumes, d’herbes, d’épices, par rapport à la recette de la boustifaille dominicale notée sur un bout de papier ou une liste sur votre smartphone. Votre chariot de courses en toile cirée qui vous accompagne, c’est le moteur de Deepflix. Sauf qu’au lieu de simplement stocker vos petits ingrédients, triés sur le volet, il les convertit directement, en fonction de votre choix, en plat gastronomique, traditionnel, exotique ou moléculaire : votre film quoi ! Si vous ne saviez pas à quel maraîcher ou producteur vous adresser, une gouttelette de bruit numérique générée, au hasard, choisira les carottes et les aubergines pour vous - et la création de votre film peut commencer !
Chris Anderson : Hahaha et la version longue ?
Ed Ulbrich : En version longue, cette première génération de uns et de zéros, à partir de vos ingrédients du marché devient une ligne de commande, introduite dans une intelligence artificielle appelée « transformateur », qui postillonnera le script de votre film par un processus ressemblant un peu à la fonction d’auto-complétion de votre smartphone. C’est comme s’il commençait à battre les œufs de votre omelette. Ce scénario textuel est ensuite envoyé dans une variante des auto-encodeurs de quantification vectoriels dernière génération - des réseaux de neurones qui génèrent de la musique - produisant des bouts d’omelette plus ou moins mœlleuse, qui une fois assemblés, constituent l’audio pour les dialogues, le design sonore, les bruitages et bien évidemment la bande originale. Enfin, dans la partie la plus difficile du processus, les X minutes de son, représentant le temps de votre film (que vous pouvez choisir), ainsi que le scénario textuel, sont transmis au GAN, ou réseau antagoniste génératif, le plus sophistiqué au monde ! En travaillant mot à mot, image par image, scène par scène, le GAN de GPT-7 génère les acteurs principaux - des humains réels, ou plutôt des simulacres - construits à partir de toutes les images existantes et possibles depuis les balbutiements du 7ème Art. Ainsi que tout le reste : des monstres, des poursuites en voiture, des chiens, des chats, des chevaux, des mouffettes, des tigres, de la neige, du tabac, des chaises, de la vapeur d’eau, des déserts convexes, les survivants d’une bataille, des brosses à dents, un jeu de cartes aztèque, des fougères, des houles, des armées, des fourmis, et plein de petites surprises qui donnent à voir à nos yeux, cet objet secret et conjectural : l’inconcevable univers cinématographique.
« [...] je vis des chevaux aux crins denses, sur une plage de la mer Caspienne à l’aube, la délicate ossature d’une main, les survivants d’une bataille envoyant des cartes postales, je vis dans une devanture de Mirzapur un jeu de cartes espagnol, je vis les ombres obliques de quelques fougères sur le sol d’une serre, des tigres, des pistons, des bisons, des foules et des armées, je vis toutes les fourmis qu’il y a sur la terre, un astrolabe persan. je vis dans un tiroir du bureau (et l’écriture me fit trembler) des lettres obscènes, incroyables, précises, que Beatriz avait adressées à Carlos Argentino, je vis un monument adoré à Chacarita, les restes atroces de ce qui délicieusement avait été Beatriz Viterbo, la circulation de mon sang obscur, l’engrenage de l’amour et la transformation de la mort, je vis l’Aleph, sous tous les angles, je vis sur l’Aleph la terre, et sur la terre de nouveau l’Aleph et sur l’Aleph la terre, je vis mon visage et mes viscères, je vis ton visage, j’eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu’aucun homme n a regardé : l’inconcevable univers. »
Chris Anderson : En fait vous recréez l’Aleph de Borges ?
[Rires]
Chris Anderson : Pour revenir à l’origine de Deepflix, David Carlson m’expliquait que cette plateforme synthétisait beaucoup d’idées sur « l’automation de la création » que vous aviez en tête depuis votre enfance ?
Ed Ulbrich : Je crois que toute forme de création va puiser dans le receptacle de la multiplicité potentielle.
« Je crois que toute forme de connaissance doit aller puiser dans ce receptacle de la multiplicité potentielle. L’esprit du poète, tout comme l’esprit du savant à certains moments décisifs, fonctionne par association d’images, suivant un processus qui constitue le système le plus rapide de liaison et de choix entre les formes infinies du possible et de l’impossible. L’imagination est une sorte de machine électronique : en tenant compte de toutes les combinaisons possibles, elle choisit celles qui obéissent à une fin, ou qui sont tout simplement les plus intéressantes, les plus agréables, les plus amusantes. » Un auteur, selon moi, assemble en un même objet des éléments qu’il n’a pas créés. Son énergie créatrice s’exerce dans la sélection et le séquençage de ces éléments plutôt que dans une création originale. D’ailleurs, les opérations de sélection et de composition fonctionnent en tandem : l’une sert à sélectionner des éléments et des styles dans la « base de données de la culture », l’autre à les assembler en objets nouveaux.
« Son projectionniste était en réalité un artiste qui agençait avec beaucoup d’adresse une présentation de diapositives achetées à des distributeurs. On a ici un parfait exemple de l’autorialité d’une œuvre construite par la sélection. Un auteur assemble en un même objet des éléments qu’il n’a pas créés. Son énergie créatrice s’exerce dans la sélection et le séquençage de ces éléments plutôt que dans une création originale. [...] Le rapport établi entre l'esthétique du postmodernisme et l'opération de sélection vaut aussi pour la composition. À elles deux, ces opérations reflètent et rendent possible la pratique postmoderne du pastiche et de la citation. Elles fonctionnent en tandem : l’une sert à sélectionner des éléments et des styles dans la « base de données de la culture », l’autre à les assembler en objets nouveaux. » Prenons l’exemple des films historiques :
« Tous ces films historiques, mais pas seulement :
Chris Anderson : Comme les formules d’un poème, librement combinées, qui sont des sortes de modules fixés par le poète ?
Ed Ulbrich : Oui c’est ça, tel un aède qui manipule des unités culturelles minimales, insécables comme des atomes !
« Le poème homérique n’est pas fabriqué de mots mais de formules fixes que le poète met bout à bout et dont la longueur ne dépasse pas un vers ou un demi-vers. Ces formules, librement combinées ou bien formant des séquences toutes faites de plusieurs vers, sont des sortes de modules fixés, des unités culturelles minimales, insécables comme des atomes.»
Chris Anderson : Vous parlez souvent d’imagination artificielle dans la presse. De quoi s’agit-il exactement ?
Ed Ulbrich : Par imagination artificielle, j’entends l’élaboration d’assemblages, plus ou moins complexes, par un programme réalisant une exploration déterministe ou aléatoire d’un univers combinatoire, contenant un nombre généralement très élevé de tels assemblages !
« De même que le concept d'intelligence artificielle, tel que les informaticiens le considère, n'a qu'une parenté assez vague avec ce qu'on entend généralement par intelligence humaine, laquelle est presque indéfinissable en toute rigueur par l'homme, le concept d'imagination artificielle est assez éloigné de ce qu'on entend tout aussi vaguement par imagination cérébrale humaine. Par imagination artificielle nous désignerons l'élaboration d'assemblages, plus ou moins complexes, par un programme réalisant une exploration (déterministe ou aléatoire) d'un univers combinatoire, contenant un nombre généralement très élevé de tels assemblages. Ces assemblages proposés à l'examen d'un homme ou d'un groupe sont alors acceptés ou refusés. » À partir d’une matrice, il est possible d’inventer des centaines d’histoires, de textes mobiles, d’images, d’actions et d’intrigues. Le cinéma ne fait donc que commencer !
« [...] Je quitterai l’université.
– Et après ?
– Je travaillerai avec des ordinateurs, j’achèterai de nouveaux programmes ! On peut, en un rien de temps, changer ce qu’on veut dans un texte, créer de multiples variantes. A partir d’une matrice, il est possible d’inventer des centaines d’histoires, de textes mobiles. La littérature ne fait que commencer ! »
Chris Anderson : Ne craignez vous pas de produire des pseudo-films qui semblent remonter dans le temps de l’histoire du cinéma plutôt que d’ouvrir des possibles ?
Ed Ulbrich : C’est mal comprendre le jeu de répétitions et de différences des GAN, de cycles et de ressemblances, car c’est encore les considérer de façon autonome et fermée sur eux, alors qu’ils sont inextricablement techniques et anthropologiques. Ainsi si l’hétéronomie de l’imagination artificielle existe en amont parce qu’elle est alimentée par les données massives, elle se poursuit en aval parce qu’elle est perçue et interprétée par des êtres humains, formant alors une boucle de la mémoire elle-même. Nous relisons une mémoire qui est notre mémoire, mais ce « propre » de la mémoire nous était inconnu, car du fait de la quantité accumulée nous ne pouvions y avoir accès !
« On croit avoir fait le tour du problème en résumant cette hétéronomie à une reproduction à l’identique de ce qui est déjà en mémoire : le logiciel apprenant de ces mémoires ne pourrait que les reproduire. Or, c’est mal comprendre le jeu de répétitions et de différences, de cycles et de ressemblances, car c’est encore les considérer de façon autonome et fermée sur elles, alors qu’elles sont inextricablement techniques et anthropologiques. En effet, si l’hétéronomie de l’ImA existe en amont parce qu’elle est alimentée par les données massives, elle se poursuit en aval parce qu’elle est perçue et interprétée par des êtres humains, formant alors une boucle de la mémoire elle-même. Nous relisons une mémoire qui est notre mémoire, mais ce « propre » de la mémoire nous était inconnu, car du fait de la quantité accumulée nous ne pouvions y avoir accès. C’est en articulant finement la mémoire à l’artificiel qu’il sera possible d’approcher plus exactement le fonctionnement et les conséquences de ces logiciels d’apprentissage. » C’est en articulant finement la mémoire à l’artificiel qu’il sera possible de libérer notre imagination et célébrer comme il se doit le 7ème art comme une synthèse des six autres !
« Citant, juxtaposant, triturant, célébrant le 7e art comme une synthèse des six autres, Godard refait le XXe siècle en un vertigineux rébus. Jean-Luc Godard a travaillé à ces Histoire(s) pendant dix ans. Seul ou presque. Coupant, triturant, agrégeant des centaines d’enregistrements vidéos archivés par ses soins. »
Chris Anderson : Certains affirment au contraire que vous êtes en train de tuer le cinéma... Qu’est-ce que vous leur répondez ?
Ed Ulbrich : La photographie n’a pas tué la peinture, la télévision n’a pas tué le cinéma, si ? La technologie a toujours été l’ennemi naturel de la tradition mais l’histoire nous apprend qu’elle sert de catalyseur à de nouvelles opportunités pour ceux qui sont prêts à s’adapter. Toutes les révolutions technologiques sont accompagnées de réticences mais ceux qui ratent le tournant de l’imagination artificielle s’en mordront les doigts d’ici peu.
« I am not worried about that. Yes, you could say that technology is the natural enemy of tradition, but history also teaches us that it acts more as a transformer or catalyst than a destroyer. Photography did not kill painting, TV did not kill books. What technology does change is the ratio of how many people can make a living from a particular Kulturtechnik. At the same time, it opens the door for others to participate in the system and creates new opportunities for those who are willing to adapt. Which means, for our times, that besides drawing and writing, learning how to code should be seen as one of the most valuable skills to acquire to be prepared for a future in which machines are taking an active role in all our lives.» Je suis convaincu que l’apprentissage du code et de la philosophie sont les compétences les plus précieuses à acquérir pour se préparer à un avenir où les machines joueront un rôle proactif dans nos vies.
Chris Anderson : Et que répondez-vous à vos détracteurs dans le monde de la critique cinématographique ? C’est également une mise à mort de la notation des films par le principe même de votre service ?
Ed Ulbrich : J’ai récemment eu l’occasion de faire un
« Martin Scorcese [...] contre l'hégémonie des sites de notation comme Rotten Tomatoes ou CinemaScore, qui exercent un pouvoir de vie ou de mort sur les films : « Ils notent un film comme on noterait un cheval sur un hippodrome ou un appareil électroménager dans un guide de consommateur. lls travaillent pour l’industrie cinématographique et n’ont rien à voir avec la création ou le visionnage intelligent de films ! »
Chris Anderson : Cela ne doit pas être la première fois qu’on vous pose la question mais êtes-vous plutôt film ou série ?
Ed Ulbrich : Haha le sempiternel débat... Ce que je remarque, c’est qu’on vante souvent la fraîcheur et l’originalité des séries ces dernières années. Pourtant ce qu’elles sécrètent d’automatismes, de conventions et de clichés est peu questionné, alors qu’on ne les supporterait certainement pas cinq minutes s’il s’agissait d’un film ! Cette sorte d’immunité dont bénéficient les séries me laisse songeur. On s’est habitués à attendre le 3ème voire le 5ème épisode avant que la série ne démarre. Ça ne vous choque pas ?
« On vante souvent leur fraîcheur et leur originalité ces dernières années, mais par quel miracle les séries, produites en masse et dans une logique de rentabilité rapide, échapperaient-elles à toute forme de formatage ? On ne le sait. Pourtant ce qu’elles sécrètent d’automatismes, de conventions et de clichés est peu questionné, alors qu’on ne les supporterait certainement pas cinq minutes s’il s’agissait d’un film. La sorte d’immunité dont bénéficient les séries laisse songeur. [...] On entend parfois qu'il ne faut pas demander à une série ce qu'on demande à un film, à savoir une forme, et de la mise en scène. On entend souvent qu'il faut attendre le 3ème voire le 5ème épisode pour qu'une série démarre enfin. Que s'est-il passé pourq u'on accepte ce qu'on ne tolérait pas d'un film, à savoir passer la moitié du métrage à s'ennuyer avant qu'enfin il se passe quelque chose ? »? La réalité c’est que la plupart des films et séries ne sont bons qu’à être absorbés par notre IA.
Chris Anderson : Je crois que nous avons notre réponse..et que pensez-vous de Netflix ?
Ed Ulbrich : Je vais vous donner un exemple. Sur Netflix, on vous fait croire que les choix sont illimités, alors qu’en réalité on ne vous propose que quelques plats comme sur un menu de restaurant. On vous fait croire que vous ne savez pas choisir, en fait ils cachent surtout la pauvreté de leur offre. Ils vous imposent des désirs qui ne sont pas les vôtres.
« La reformulation du désir/ Les choix sont réduits à un « menu », qui fait croire qu'il y a beaucoup alors qu'il ne reste que des alternatives simples. C'est typique de la coquille Netflix. On nous fait croire qu'on est incapables de choisir donc qu'il faut nous aider, donc qu'il faut réduire notre possible. Par cette opération, on cache la pauvreté de l'offre, mais surtout on remplace un désir par un autre [...] » Avec Deepflix c’est différent, vous êtes le maître à bord, vous choisissez tous les éléments de votre film.
Chris Anderson : Le spectateur devient plus acteur ?
Ed Ulbrich : Oui vous êtes libre de créer votre univers, votre utopie ou votre dystopie. Nous voulons redonner le goût de la découverte, de l’exploration au spectateur. Nous avons ouvert un nouveau champ des possibles : le nombre de films sur Deepflix est exactement infini ! Vous voulez devenir agent secret ou nageur olympique aux côtés des plus grandes stars ? Grâce à Deepflix, c’est possible.
Chris Anderson : Et un film dans lequel un personnage ressemblant à votre patron est dévoré puis régurgité par un anaconda ? C’est possible ?
[Rires]
Ed Ulbrich : Vous pouvez même laisser le moteur aléatoirement décider du film qui vous divertira ce soir !
Chris Anderson : Vous n’avez pas peur qu’un réel danger viennent de groupes extrémistes utilisant le système à mauvais escient pour générer une propagande à partir de documentaires artificiels par exemple ?
Ed Ulbrich : Il pourrait y avoir un danger temporaire en raison de la nature et de la façon dont nous diffusons et consommons l’information aujourd’hui par le biais des réseaux sociaux et de nos recherches sur Google principalement. Si un virus de l’information était capable de se reproduire à une vitesse exponentielle et pourrait faire croire aux diffuseurs de l’information qu’il s’agit d’un message précieux, alors cela pourrait submerger ces systèmes et, en fin de compte, toute la société. Notre « système immunitaire social » n’est pas encore préparé aux attaques des productions de réseaux de neurones artificiels car nous croyons encore trop ce que nous voyons. Mais je suis persuadé qu’avec une plus grande exposition à ces menaces, nous développerons une « immunité collective ».
« With these types of systems it is a little bit like with the coronavirus: yes, there might be a temporary danger due to the nature of how we spread and consume information nowadays online and what we then perceive as reality, mostly through social media and Google searches. If suddenly an information virus comes along that is able to reproduce at an enormous speed and which can trick the information replicators into believing that it is a valuable message then this might overwhelm those systems and ultimately society. Unfortunately, we tend to believe what we see, in particular if it is written in black on white and our social immune system is not prepared yet for neurally optimised attacks that can abuse that.» Nous serons capables d’affiner nos récepteurs d’informations pour acquérir une certaine conscience critique de l’artificiel et adopter, face aux discours quotidiens, un soupçon permanent qui, lui, n’a pas besoin de compétences scientifiques pour être exercé !
« Je considère de mon devoir politique d'inviter mes lecteurs à adopter face aux discours quotidiens un soupçon permanent dont certainement les sémioticiens professionnels sauraient très bien parler, mais qui n'a pas besoin de compétences scientifiques pour être exercé. En somme, en écrivant ces textes, je me suis toujours senti tel un expert en anatomie comparée qui certes étudie et écrit de façon technique sur la structure des organismes vivants, mais qui, dans un journal, ne cherche pas à discuter les présupposés ou les conclusions de son propre travail et se limite à suggérer, par exemple, que chaque matin il serait opportun de faire quelques exercices avec le cou en bougeant la tête d'abord de droite à gauche, vingt fois de suite, puis vingt fois de haut en bas, pour remédier aux attaques de l'arthrose cervicale. »
Chris Anderson : D’après vous, qu’est-ce qui fait la culture si unique de Deepflix ? Parlez-nous de votre associé Jacques Bergier, on ne sait presque rien de lui.
Ed Ulbrich : Jacques, c’est un homme invraisemblable, absolument fascinant. Il passe son temps à imaginer des univers logiques dans lesquels il est impossible de calculer deux plus deux, à étudier un code informatique pour les parfums, à psychanalyser les cerveaux électroniques et à exhiber sa connaissance vertigineuse de la littérature feuilletonnesque. En parlant avec lui, vous devenez curieux et élargissez votre compréhension du monde, jusqu’à croire que la science naît justement de ces inspections de l’imagination aux frontières de l’incroyable et qu’elle s’en nourrit !
« Il suffirait, pour être tout à fait d'accord, d'avoir rencontré, comme j'en ai l'occasion, Jacques Bergier, l'éminence grise de la revue : un petit bonhomme invraisemblable, absolument fascinant qui, après avoir combattu dans le maquis, après avoir survécu au camp de concentration, après avoir repéré et signalé à l'Intelligence Service la base de Peenemünde, passe maintenant son temps à élaborer les hypothèses les moins contrôlables, à imaginer des univers logiques dans lesquels il est impossible de calculer deux plus deux, à étudier un code informatique pour les parfums, à psychanalyser les cerveaux électroniques et à exhiber sa connaissance vertigineuse de la littérature feuilletonnesque du monde entier. Après une rencontre avec Bergier on est persuadé de l'absolue nécessité d'être curieux et intellectuellement téméraire ; on commence à croire que la véritable science naît justement de ces inspections de l'imagination aux frontières de l'incroyable et qu'elle s'en nourrit. »
Chris Anderson : Aux dernières nouvelles, l’équipe Deepflix commence à sérieusement s’agrandir ?
Ed Ulbrich : Oui nous avons, aujourd’hui, des architectes, designers, peintres, musiciens, mathématiciens, écrivains, danseurs,...et surtout des programmeurs. Ce mélange interdisciplinaire flexible contribue à générer une rhétorique de connaissance méthodique et, les outils nécessaires à la modélisation et à la gestion d’une telle base de données de la culture qu’est le cinéma. Dans ce travail de transvasement interdisciplinaire à distance, on renverse beaucoup de liquide par terre
« L’excès de spécialisation impose une tentative d'interdisciplinarité. Interdisciplinarité signifie contact et compréhension entre les hommes qui travaillent dans différents secteurs de spécialisation. Le contact s'établit de deux façons : tout d'abord, le technicien d'un secteur doit clarifier pour le technicien d'un autre secteur le sens de ses propres discours et les frontières de son propre univers de discours ; ensuite, tous deux doivent essayer de traduire les éléments valables dans leur propre univers de discours en termes valables pour celui d'autrui. Dans ce travail de transvasement (auquel toute la culture participe), on renverse beaucoup de liquide par terre. Les tentatives de traductions engendrent des métaphores rapides, des contresens, des courses forcées pour une mise à jour apparente. Comme pour la divulgation du sommet de la pyramide à la base, le transvasement d'un secteur à un autre secteur de niveau équivalent engendre de l’inflation.» mais nous sommes un assemblage de particules hautement chargées en énergie, destiné à bousculer l’industrie du streaming et je le répète : participer au réveil des imaginaires !
« Global Business Network comme une cause, un club, une conspiration et un assemblage de particules hautement chargées en énergie, destiné à bousculer les organisations de grandes tailles afin de générer des changements positifs.»
Chris Anderson : Vous parliez tout à l’heure de Martin
« Quel est le « droit moral » d’un écrivain sur des textes qu’il n’a pas écrits mais qui utilisent massivement, sans les citer, de façon créatrice et originale, des fragments d’autres textes ? Où commence la « propriété littéraire ». Des phrases comme : « Elle ne cessa pas ses promenades », « il fait des exercices de violon », » les fenêtres sont ouvertes sur le parc », etc. appartiennent-elles exclusivement à Marguerite Duras (Le ravissement de Loi V. Stein), auquel cas il faut lui rendre son dû dès qu’elles apparaissent, ou appartiennent-elles plus largement à la langue et à la culture françaises et, dans ce cas, où se place la frontière qui sépare ces deux attributions, comment passe-t-on de la langue à la littérature ?»?
Ed Ulbrich : Depuis qu’il existe, le cinéma se plagie, se recopie, réinvente ses classiques. Les GAN n’ont rien inventé à ce niveau là. Aujourd’hui plus que jamais, on ne distingue plus ce qui a été fait par un agent humain ou un agent technique. Personne ne dit ce qu’il a codé et ce qu’il a copié/collé non ?
« Qu’est-ce qu’un brouillon-machine ? La rencontre entre un individu, une multitude inscrite, un langage et un horizon de compréhension. Parfois le brouillon-machine est complété par la machine, en passant d’un logiciel à un autre on complète, par exemple, un fragment de texte par un paragraphe. Indifféremment, cela peut être moi. Ca se répand toujours un peu plus ainsi. On ne distinguera pas ce qui a été fait par un agent humain ou un agent technique. On tentera précisément de rendre flou cette frontière afin que la relation entre les deux soit exhibée comme telle. On ne dira pas ce qu’on a codé et ce qu’on a copié/collé. »? Donc il va de soi que l’on peut non seulement corriger une œuvre ou intégrer divers fragments d’œuvres périmées dans une nouvelle, mais encore changer le sens de ces fragments et truquer de toutes les manières que l’on jugera bonnes ce que les imbéciles s’obstinent à nommer des citations.
« Il va de soi que l’on peut non seulement corriger une oeuvre ou intégrer divers fragments d’oeuvres périmées dans une nouvelle, mais encore changer le sens de ces fragments et truquer de toutes les manières que l’on jugera bonnes ce que les imbéciles s’obstinent à nommer des citations. » Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique !
« Les idées s’améliorent. Le sens des mots y participe. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l’idée juste. »
Chris Anderson : Une réplique iconique comme : « C’est à moi que tu parles ? » par De Niro dans Taxi Driver, à qui appartient-elle d’après vous ? À
Ed Ulbrich : La réponse est dans la question. Je suis désolé, je suis obligé de vous laisser j’ai une autre interview qui démarre dans 15 minutes.
Chris Anderson : Ed, vous êtes une personne exceptionnelle. Vous êtes en train de changer nos vies et les vies de nombreux enfants.
Merci infiniment d’être venu nous rendre visite à TED.
CHAPITRE 6
88, rue Cortot.
« 227, avenue Daumesnil.
J’apparais alors dans la scène, sur un plan rapproché, avec une barbe poivre et sel, la ride du lion creusée par les vingts années qui se sont écoulées. Je lève le bras en direction d’un journaliste de
— Ceci n’ est pas une pomme de terre, marmonne le journaliste.
— Ce n’est pas dingue ? lui répondis-je, je l’ai trouvée l’autre jour. Cette pomme de terre c’est l’objet le plus « pomme de terre » que j’aie jamais vu !
« That is the most potatoe like object I have ever seen. Why am I even thinking that smell like a potatoe, it's ridiculous.»
[La caméra effectue une bascule de mise au point sur la pomme de terre.]
Le journaliste la renifle avec insistance et déclare :
— Comment ai-je pu m’imaginer une seule seconde que cela puisse sentir la pomme de terre ? C’est ridicule..
Je l’emmène ensuite, d’un pas assuré, au 2ème étage de la maison. Le long de la montée du magnifique escalier à limon crémaillère mixte en métal, on peut admirer une reproduction du diplôme de membre du Collège de Pataphysique de
— Je vous préviens je n’ai pas rangé, c’est le désordre là-dedans mais voilà la pièce où je produis ma zik.
Nous entrons dans un studio, d’une vingtaine de mètres carré, dans lequel les drumpads, les faders, les séquenceurs et les plantes s’entremêlent et semblent vivre en symbiose.
— Parlez-moi un peu de vous avant que vous vous lanciez dans la musique ? Quelle est votre histoire avant cela ?
— J’étais très studieux à l’école et j’ai passé un bac S, scientifique, comme on l’appelait.
Je me souviendrai toujours des yeux inquiets de mon prof de physique, en terminale, quand je lui ai annoncé que je voulais faire une prépa artistique ! L’année d’après, j’ai réussi à intégrer, une chose assez originale pour le système éducatif français de l’époque, un double cursus : Science et Design. En première année, je me suis dit que ça serait cool de faire de la musique avec mon tapis de souris. J’ai commencé à bidouiller un truc avec une carte Arduino et des petits capteurs de flexion trouvés dans un hacker space à Nation. Puis tout est parti de là...
[La caméra effectue un plan très rapproché sur le logiciel ouvert sur l’écran de l’ordinateur.]
— Par exemple, sur ce morceau j’ai codé trois scripts. Le premier permet de choisir aléatoirement 14% des notes et de les pitcher de trois demi-tons. Le deuxième, c’est 41% des notes qui sont transposées de 12 demi-tons au-dessus.
« I've got three rules. One is 14% of these notes (a random 14%) are gonna be pitched down by three semitones »
— Est-ce que je peux dire que vous êtes un scientifique ?
— Les experts d’une discipline diront toujours « vous n’ êtes pas l’un des nôtres, vous êtes l’un des leurs » et vice versa.
« According to Maeda, to each plot a designated mission: to Science, exploration; to Engineering, invention; to Design, communication; to Art, expression. Describing the four “hats” of creativity, Rich Gold had originally drawn the matrix-as-cartoon to communicate four discrete embodiments of creativity and innovation. Mark your mindset, conquer its little acre, and settle in. Gold’s view represents four ways-of-being that are distinctly different from one another, separated by clear intellectual boundaries and mental dispositions. Like the Four Humors, each is regarded as its own substance, to each its content and its countenance. Stated differently, if you’re a citizen in one, you’re a tourist in another.» J’ai appris à ignorer ce type de personnes qui cherchent à tout prix à mettre tout le monde dans les compartiments d’un wagon. On s’en fout de savoir qui est en première classe, non ? Ce qui importe, c’est cette recherche « d’ espaces entre les espaces ». Quel est ton système d’accroche antidisciplinaire ?
J’augmente le niveau en Aux2 sur la console de son reliée à la sortie des magnifiques enceintes de monitoring
— Vous entendez la différence avec et sans le script, n’ est-
ce pas ?
— Haha oui carrément !
On peut lire distinctement, sur le moniteur de 20 pouces, une liste d’effets sur l’interface du logiciel de production musicale : Kaytradamus,
— Celui-là s’appelle Superevilfunk ? dit le journaliste amusé, j’aime bien ce nom. On peut l’essayer ?
— Oui bien sûr !
[Kick ! Boum ! Boum ! Kick ! Skkrr ! Miaou ! Skkk ! Pouch !]
— C’est vraiment peu d’ingrédients !
— Oui, c’est très expérimental.
— Le plus génial avec ces machines à drums, c’est qu’elles peuvent jouer aussi vite que vous voulez !
J’accélère le bpm, tout en tordant le tapis de souris, sur lequel se trouve une photo de
— Je perçois comme une fascination pour l’aléatoire dans votre processus de création avec la machine ?
— Je recherche constamment des idées nouvelles. Et comme disait John Cleese : avoir une nouvelle idée, c’est relier deux idées distinctes générant un nouveau sens. Quand je joue, le programme peut délibérément inventer des juxtapositions aléatoires. Ensuite, je me sers de mon intuition, pour dire si l’une d’entre elles semble avoir une nouvelle signification !
« Now, having an idea, a new idea, is exactly the same thing. It's connecting two hitherto separate ideas in a way that generates new meaning. Now, connecting different ideas isn't difficult, you can connect cheese with motorcycles or moral courage with light green, or bananas with international cooperation. You can get any computer to make a billion random connection for you, but these new connections or juxtapositions are significant only if they generate new meaning. So as you play you can deliberately try inventing these random juxtapositions, and then use your intuition to tell you whether any of them seem to have significance for you. That's the bit the computer can't do. It can produce millions of new connections, but it can't tell which one smells interesting. »
— La machine est donc autopoïétique ?
— Pas exactement. Elle produit un brouillon que je retravaille et ouvre le champ de nouvelles possibilités. Elle est moi sans moi. Elle me surprend et nargue à la fois mes propres attentes.
« La machine produit un brouillon que je retravaille. Elle est une source d’inspiration, elle que j’ai nourrie. Elle ouvre le champ de nouvelles possibilités. Elle est moi sans moi. Surprise d’avoir provoqué cela qui défie l’attente. Reprise après-coup de ce qui est automatique : j’essaye de suivre le rythme du logiciel, je m’adapte à son tempo. Je réécris des pages et des pages de brouillon-machine, je retravaille des milliers d’images. Je dois le faire. Je me suis donné cette tâche : je me suis lié afin d’être rendu à ma finitude comme dispositif technologique. Qu’est-ce qu’un brouillon-machine ? La rencontre entre un individu, une multitude inscrite, un langage et un horizon de compréhension. »
— Est-ce bien OBIE que je vois au fond de la pièce ? me demande le journaliste.
— Oui, il est un peu couvert de poussière.
— Pouvez vous nous parler de cette machine ?
— Vous pouvez faire en sorte que n’importe quel ordinateur établisse un milliard de connexions aléatoires pour vous, mais ces nouvelles connexions ou juxtapositions ne sont significatives que si elles génèrent une nouvelle signification.
« You can get any computer to make a billion randoms connections for you but these new connections or juxtapositions are significant only if they generate new meaning. » OBIE, selon moi, c’est l’incarnation de cette quête du hasard comme méthode. Il est important de dépasser les oppositions classiques de l’ordre et du désordre et de la forme et de l’accident telles que nous l’enseignaient Breton, Ernst, Duchamp ou bien
« Distinct de l’accident et de l’informe, le hasard comme méthode se définit comme un exercice d’attention, une discipline qui interroge les limites de l’invention, le goût, la mémoire et l’oubli, les conditions de la perception. Comprendre ce qui est en jeu lorsque
— Vous utilisez toujours cette machine OBIE dans votre processus de création musicale ?
— Oui, lorsque vous travaillez seul, vous pouvez très facilement tourner en rond dans vos propres routines créatives, vous allez vers les mêmes instruments, filtres, scripts etc.
Je saisis sur le bureau une carte posée à côté de la lampe d’
— Quand je vois cette carte, par exemple, cela me rappelle de travailler à une vitesse différente. Cela peut être prenez votre temps pour marcher jusqu’à votre
« Yes, that's a useful one. That can mean a lot of different things. That can be change the speed here. But that can mean do things at diffrenet speed. Work very very quickly or work very very slowly. You know..take a minute to go to that guitar. Pick it up, put it on, plug it in. Take a long time doing something.»
— En fait on devrait aussi utiliser cette carte, nous, les journalistes ! Et c’est quoi la genèse de ce projet OBIE ?
— Ça a démarré il y a quelques années, quand j’étais en studio. On avait un petit budget et une forte pression sur le temps. En sortant du studio, je me souvenais toujours des choses que j’avais cherchées en vain pendant les séances de travail. J’ai commencé à les noter pour ne plus les oublier, puis la liste s’est allongée avec les contributions de mes amis beatmakers.
« It's started out with noticing that when I was working in the studio [...]. We were under a lot of pressure with a small budget. And under pressure you forget all your best ideas quite often. I've got a get finished tadada.And the panic sort of pushes away your observations. You're not really paying attention on what's going. You're panicking basically. » Au fur et à mesure, ils ont commencé à ajouter des références de films, de livres, des recettes, des coordonnées GPS, et des inclassables. Assez rapidement on a constitué une incroyable banque d’informations, d’inputs créatifs. On l’a intégrée dans une machine qui vous sort une référence aléatoirement quand vous êtes face à la page blanche. La carte générée peut alors vous débloquer instantanément car elle prendra un sens nouveau !
— Fascinant !
J’attrape un carnet au papier crémeux lisse sur une étagère. Il a légèrement jauni avec le temps.
— Quelles sortes de choses avez vous dans vos carnets ?
« This is all notebooks. Ok right. What sort of things are in the notebooks? Well, I'll show you if you like. So there are drawings and writings. Design for things. These ones are all about music. These ones are all about women haha.. This is me learning italian. »
— Il y a des petits dessins, des mots-clés, ça parle de musique,..
Je m’arrête sur une partition dessinée à la main sur une double page.
— Là c’est moi qui essaie d’apprendre le solfège par exemple. Sans succès.
— Vous revenez souvent à ces carnets ?
— J’arrête pas de me dire que je les laisse de côté puis quand je serai en panne d’idée, je pourrai les ressortir mais j’attends toujours ce jour.
[Rires]
De retour dans le salon, j’indique l’emplacement des 7 enceintes Bang & Olufsen du salon au cameraman de
— Elles sont soigneusement disposées pour une écoute immersive après la production en studio. Il est important pour moi de bien distinguer les deux espaces.
« What do your neighbours think? My neighbours are really happy with me because I have great parties haha and I always invite them. »
— Et qu’est-ce que vos voisins pensent de tout cela ?
— Oh, ils sont très content vous savez !
— Ah bon ? répond le journaliste d’un air soupçonneux.
— Oui je fais toujours des grosses soirées, en les invitant, bien sûr !
— Bonne idée, s’esclaffe alors le journaliste.
Un travelling caméra entre dans l’enceinte du salon diffusant une musique hip-hop de
QUENTIN BITRAN — Derrière le beatmaker surréaliste
Je regarde mon smartphone. Il est trois heures du matin. Je n’ai pas vu le temps passer. Je viens de regarder toute la série documentaire d’une traite. Après avoir incarné un architecte de restaurants sous l’eau, un designer de bateaux autonomes, un graphiste qui crée de nouvelles typographies à partir d’encre magnétique, un beatmaker barré, j’aurai tout vu.
L’onglet Deepflix, ouvert sur mon Mac, illumine maintenant toute ma chambre et affiche un bouton, à la pulsation régulière, portant le libellé suivant :
« Quentin, générez votre prochain épisode en quelques clics.»
Mes paupières se ferment de fatigue. En posant ma tête entre mes coudes, j’appuie sans le vouloir sur la touche « entrer » de mon clavier. Un nouvel épisode démarre.
Au bout de 15 minutes, je me réveille au son de ma propre voix résonnant dans la cuisine d’un grand restaurant :
— J’ai infusé la verveine dans le jus de pomme, et après je voulais marier la terre et la mer donc j’ai fait une brunoise de betteraves chiogga et de lieu noir...
CHAPITRE 7
Alors que je suis machinalement en train de faire la vaisselle de mon dîner, j’entends par la fenêtre de ma cour intérieure la conversation de mes voisins depuis leur chambre :
— Moi j’ai pas aimé la fin ! lâche la voisine nerveusement.
— Mais tu n’as rien compris à l’histoire de toute façon !
— Mais bien sûr que si ! Il ne faut pas avoir fait l’école
Louis Lumière pour comprendre. C’est surtout très bizarre, j’ai remarqué que l’actrice portait les sous-vêtements que j’ai mis cet après-midi dans mon panier pour les ventes privées en ligne de
— Je crois que c’est juste une coïncidence et peut-être même une synchronicité.
— Oui c’est ça, t’as raison... bonne nuit !
— Tu connais l’histoire du scarabée d’or ?
— Non ! Elle éteint alors la lumière de la table de chevet dans un élan de colère.
Le lendemain, à la même heure, je me rapproche discrètement de la fenêtre pour tenter d’espionner mes voisins. Ils semblent, cette fois-ci, regarder un thriller dans le salon.
J’aperçois alors
— Bonjour Dr. Paracelse. Je voudrais vous parler d’un problème que j’ai depuis mon enfance. Je pensais qu’il avait disparu mais il est revenu ces dernières semaines.
— Je vous écoute Georges, expliquez moi votre problème.
— Je vois des 23 partout. Je regarde l’heure il est 14h23, je stationne devant une maison toujours le n°23, je paye mes courses : 23$. C’est systématique, je suis désespéré docteur !
— Laissez moi prendre mon synchroniciomètre.
Il donne à son patient une écharpe et après quelques secondes regarde sa tablette sur laquelle est affichée : 223 EPP.
— C’est bien ce que je pensais... Votre énergie psychique potentielle est très élevée.
Le docteur sort une petite boîte d’une armoire réfrigérée derrière la table d’examen.
— La pilule Kammerer. Cette pilule est à prendre une fois par jour. Le matin ou le soir dès que le nombre 23 apparaît devant vous. Elle vous permettra une fixation psychique pour ne jamais remonter à l’origine de la synchro...
...ZZZZZZ.
Un smartphone vibre sur la table basse du salon de la chambre des voisins.
— Tu peux mettre sur pause s’il te plaît, c’est sûrement Clara, c’est important !
La voisine s’approche de la fenêtre donnant sur la cour intérieure. Je ferme mes rideaux furtivement, de peur d’être repéré.
— Allô ! Tu m’entends ? Comment tu vas ? Alors, cette bague de fiançailles a été livrée sans que tu te fasses repérer ?
Clara répond d’une voix très énervée sur les haut-parleurs du smartphone de la voisine.
— J’ai annulé la commande ! Il n’y a plus de bague ! Il n’y a plus grand chose d’ailleurs !
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Nous avons regardé une comédie romantique sur Deepflix ensemble et je suis tombée dans le film sur la chevalière en or éthique que...
— ... tu voulais acheter ? Il m’est arrivé exactement la même chose avec les sous-vêtements que j’avais commandés. C’est très opaque toute cette histoire.
— Ah non c’est limpide, au contraire ! Hier j’ai décidé de générer un film à partir du navigateur de Jean. J’ai pu l’enregistrer grâce à notre compte premium et accéder également à tout l’historique des films qu’il avait générés. J’ai commencé à les visionner et pris des captures d’écran. Je me suis rendue compte qu’en arrière plan de certaines scènes, il y avait des pubs pour des sites de rencontres.
— Sérieusement ?
— Attends, tu ne connais pas la meilleure ! En parcourant la description des autres films, je m’aperçois d’un film généré avec comme actrice principale sa collègue de travail Julia... Je fais quoi moi avec ça ?
La voix de Clara, qui éclate en sanglots, se brouille au téléphone.
CHAPITRE 8
Un transpalette autonome se rend à la rangée 44 de l’entrepôt DF58. Il se déplace à vitesse constante, en lévitation, à travers les interminables rayonnages remplis de bustes hyperréalistes. Arrivé au niveau de la rangée 208, il s’arrête et s’élève d’un coup à 40 mètres au-dessus du sol, grâce à ses hélices internes intégrées dans les fourches. Quand il arrive au niveau du buste de
L’entrepôt est embaumé par les effluves de fleur d’oranger, dont quelques gouttes sont ajoutées au vinyle pour donner un doux parfum aux bustes. Une fois remplis, les moules sont ensuite chauffés au four à 200° pendant 9 minutes avec une plaque tournante, selon le principe du rotomoulage, puis refroidis 20 secondes dans l’eau.
Les employés grattent, après le démoulage, les aspérités des bustes au pinceau, d’autres cousent sur les crânes des cheveux en nylon bruns, blonds, châtains, noirs, avant d’insérer les yeux, en prenant garde de ne pas les faire loucher. Tous s’affairent à la création des bustes des plus grands acteurs et actrices de tous les temps, passant d’un atelier à l’autre entre les machines et les moules. Tout est fait à la main, pièce par pièce.
« Armé d'un pistolet, Francis Hussenet remplit des rangées de moules en cuivre de bras, jambes et têtes avec du vinyle, une matière liquide aromatisée à la vanille, pour donner un doux parfum aux poupées Petitcollin, fabriquées à Etain (Meuse) depuis 1912. Les moules sont ensuite chauffés au four à 200° pendant 9 minutes avec une plaque tournante, selon le principe du rotomoulage, puis refroidis 20 secondes dans l'eau." Tout est fait à la main, pièce par pièce. Petitcollin est la dernière fabrique de poupées en France" et a reçu en 2007 le label "Entreprise du patrimoine vivant", explique Stéphanie Thévenin, chargée de développement au centre culturel et touristique du Pays d'Etain, qui gère l'animation et la boutique de la marque. »
Au même moment à l’autre bout de l’usine, David Fincher, équipé d’un Sutherland Recon VR3, semble très concentré :
— Voilà ! Ça doit glisser à l’écran sur un plan large comme ça, on doit voir toute la rue.
Derrière lui,
— Plus lentement, encore plus lentement le travelling en caméra 3 jusqu’à l’entrée du stade. Fondu sur le coucher de soleil en caméra 6.
À sa droite, en train de manger un burger sur un fauteuil Barcelona de
— C’est bon, c’est bien là le gros plan sur les pieds ! Balance la musique.
Une rangée plus loin dans le hangar, sont confortablement assis
Soudain, une voix s’élève et résonne dans tout le hangar :
— On change les postes dans 5 minutes, préparez-vous Ed arrive !
Un petit air s’échappe alors des haut-parleurs de l’entrepôt, c’est du
— LE GRAND JOUR EST ARRIVÉ..
Je me réveille sur l’air de So What qui retentit maintenant distinctement dans ma chambre.
« Every weekday for 12 years, Harold would brush each of his 32 teeth, 76 times, 38 times back and forth, 38 times up and down »
Je suis maintenant prêt, il est 9h53, sur l’écran d’ordinateur immaculé devant moi, ma caméra et mon micro testés, je réajuste les manches de mon sweat
10h00 - Je clique sur le bouton « rejoindre la réunion »et entre l’ID : 1907192607
Une fenêtre s’ouvre avec deux messages :
« Testez votre micro et votre caméra. »
« La réunion attend l’arrivée de l’animateur. »
10h03, je suis toujours seul sur la conversation.
10h14, aucun signe d’Ed.
10h30, je commence à transpirer, je sens que des gouttes de transpiration coulent le long de mon dos sous mon sweat préféré. J’attends, inquiet, et n’ose pas me lever pour me servir un verre d’eau.
10h31, la caméra s’initialise enfin et le visage pixélisé d’Ed apparait à l’écran. Il porte une chemise à col rond dandy et ses fameuses lunettes carrées rappelant de vieilles stéréoscopiques 3D dotées de lentilles magenta et cyan.
— Bonjour Quentin ! Êtes-vous prêt pour commencer l’entretien ?
— Oui M. Ed, je suis parfaitement prêt.
— J’aimerais commencer par une petite devinette, dit-il esquissant un léger sourire face à la caméra.
— J’aime bien les devinettes
— Parfait ! Je pense à la reine des facultés ! Celle qui touche à toutes les autres ! Celle qui a créé le monde ! Celle qui le gouverne !
« Mystérieuse faculté que cette reine des facultés ! Elle touche à toutes les autres ; elle les excite, elle les envoie au combat.[...] Comme elle a créé le monde (on peut bien dire cela, je crois, même dans un sens religieux), il est juste qu’elle le gouverne. Que dit-on d’un guerrier sans imagination ? Qu’il peut faire un excellent soldat, mais que, s’il commande des armées, il ne fera pas de conquêtes. Le cas peut se comparer à celui d’un poète ou d’un romancier qui enlèverait à l’imagination le commandement des facultés pour le donner, par exemple, à la connaissance de la langue ou à l’observation des faits. Que dit- on d’un diplomate sans imagination ? Qu’il peut bien connaître l’histoire des traités et des alliances dans le passé, mais qu’il ne devinera pas les traités et les alliances contenus dans l’avenir. D’un savant sans imagination ? Qu’il a appris tout ce qui, ayant été enseigné, pouvait être appris, mais qu’il ne trouvera pas les lois non encore devinées. L’imagination est la reine du vrai, et le possible est une des provinces du vrai. Elle est positivement apparentée avec l’infini. »
— ... L’imagination ?
— Oui, très bien, continuons.. Que dit-on d’un guerrier sans imagination ?
— Qu’il peut faire un bon soldat, mais que, s’il commande des armées, il ne fera pas de conquêtes.
— Que dit-on d’un diplomate sans imagination ?
— Qu’il peut très bien connaître l’histoire des traités et des alliances dans le passé, mais qu’il ne devinera pas les traités et les alliances contenus dans l’avenir, répondis-je avec de plus en plus d’assurance dans le ton de ma voix.
— Et d’un savant sans imagination ?
— Qu’il a appris tout ce qui, ayant été enseigné, pouvait être appris, mais qu’il ne trouvera pas les lois non encore devinées.
Ed lâche un petit rire nerveux de satisfaction dans sa moustache et réajuste ses lunettes sur son nez, d’une manière curieusement civilisée.
— Je vois que vous connaissez bien vos classiques.
Je vais maintenant vous passer un extrait vidéo de 10 secondes présentant une image de film différente toutes les secondes. Vous aurez la possibilité de rejouer 4 fois l’extrait. Au bout de 40 secondes maximum, vous devrez donc me restituer dans l’ordre la liste des films présents dans la séquence.
— ... .
— Ça te tente la nécrophilie ? Mmh ?
— Tes fautes de fils sont mes défaillances de père.
— Dans mille ans, y aura plus de mecs ni de nanas. Que des branleurs. Je trouve ça génial.
— Je vais t’apprendre le sens du mot « échec ».
— Quand je suis content, je vomis.
— Le meilleur ami d’un garçon est sa mère.
— J’aime l’odeur du napalm au petit matin. Ça sent la victoire.
— J’aime me beurrer la biscotte.
[...]
— Voyage sur la Lune, Brazil, Gladiator, Trainspotting, Les Nerfs à vif, OSS 117... , tel un algorithme de reconnaissance visuelle, je restitue la liste des films au premier visionnage.
Ed Ulbrich relève ces lunettes. Il semble impressionné par ma réactivité.
— Pouvez-vous maintenant relier ces points entre eux en moins de 10 secondes ?
Un amas de points apparaît à l’écran, sans logique apparente.
Je les relie en un temps record avec ma souris ultra précise, une
— Comment expliqueriez-vous Deepflix à un agriculteur du Moyen Âge?
« How would you explain the internet to a medieval farmer? If you can answer that, you might stand a chance at getting hired at one of Silicon Valley’s most hotly tipped data-gathering startups»?
Je commence à transpirer et trembloter, après avoir réussi chacune des épreuves à la perfection, je pensais avoir fait le plus dur.
— C’est une blague, bienvenue chez Deepflix ! J’aimerais commencer par vous énoncer quelques règles de base de notre startup qu’il faut graver dès aujourd’hui dans votre mémoire et non celle de votre SSD :
1. Un employé ne peut sous aucun prétexte générer des films à usage personnel
2. Un employé doit effacer quotidiennement tous les cookies de son historique de navigation
3. Un employé doit toujours avoir sur lui l’ouvrage
Pour la prochaine réunion
« La réunion est maintenant terminée »
Je respire un grand coup, je n’arrive pas à réaliser que je suis bel et bien embauché chez Deepflix, je sors de mon tiroir l’appeau à canard colvert à double anche de mon grand père et vais me regarder dans le miroir de sa salle de bain en reproduisant la voix d’Ed :
— J’aimerais commencer par une petite devinette..
Je souffle alors un grand coup dans l’appeau pour faire l’appel excité bien connu du chasseur :
« Quaackk quackkk quaackkkkk ! »
CHAPITRE 9
Dans chaque permutation, après qu’une action de meurtre a eu lieu, la victime ne peut plus accomplir ni subir aucune action. En conséquence, il est impossible que les trois actes de meurtre aient lieu au début d’une permutation, parce qu’il ne resterait plus de personnages pour rendre possibles les autres actions. Même deux meurtres, au début, rendraient impossible le développement de la séquence. Un meurtre au début ouvre des permutations d’actions pour 3 personnages. Le cas optimal est celui dans lequel les trois actes de meurtre arrivent à la fin. Les séquences données par GPT-7 doivent pouvoir révéler des chaînes d’événements rattachés par des possibles liens logiques.
« Toutes les possibilités sont ouvertes : un des 4 personnages peut (par exemple) violer les autres 3 ou être violé par les autres 3; mais pour un principe d’économie narrative (pour éviter les redondances) dans chaque permutation on retiendra seulement la possibilité qu’un personnage n’en viole qu’un autre et ne soit violé que par un troisième. Il est entendu que si dans une permutation A résulte [est considéré comme] apte à commettre des violences charnelles, la séquence n’en retient que la plus importante aux fins du récit; la même chose vaut si A résulte apte à subir des violences charnelles.
On établit donc que dans chaque permutation, chaque personnage peut accomplir une seule fois chaque action sur un seul personnage, et subir une seule fois chaque action par un seul personnage. »
— Attends je dois te laisser j’ai une urgen... bip bip
Ed Ulbrich me raccroche au nez. Après notre longue conversation téléphonique au sujet d’un bug de génération de scénario dans la catégorie thriller du moteur de Deepflix, je fais un saut de l’ange sur mon matelas. Des paquets de chips à moitié entamés, goût sriracha, jonchent ma table de nuit.
Cela fait maintenant quelques semaines que je travaille non-stop pour la start-up Deepflix sans même m’accorder de temps pour ranger, lire, cuisiner ou même...
Je déverrouille mon smartphone et ouvre une application :
FRUITZ, POUR DES RENCONTRES SANS PÉPINS
« Chaque fruit représente votre envie du moment :
🍒 : pour trouver sa moitié
🍇 : pour un verre de vin sans se prendre la grappe
🍉 : pour des câlins récurrents sans pépins
🍑 : pour une envie de pêcher avec toi.
Lancez l’application Fruitz, choisissez votre fruit et découvrez celui des personnes autour de vous. Balayez les profils et cueillez les personnes aux intentions qui vous correspondent ! »
J’aperçois alors quatre émojis :
émoji Cerise : Pour trouver sa moitié
émoji Raisin : Pour un verre de vin sans se prendre la grappe
émoji Pastèque : Pour des câlins récurrents sans pépins
émoji Pêche : Pour une envie de pêcher avec toi
Je choisis la Pastèque sans hésitation. Une sublime brune aux yeux noirs, sourcils légèrement arqués, visage anguleux apparaît sur mon écran rétina. Elle arbore fièrement sur sa photo de profil, une robe noire minimaliste à faire pâlir Sol Lewitt.
En dessous de la photo est écrit :
MANON, parisienne pur sang, be aware
Ce visage, cet air décidé, me dit quelque chose. Je suis sûr de l’avoir déjà vu dans le quartier avant le confinement. Je clique sur le cœur sans hésiter !
La pastèque s’anime et se sépare en deux.
Un bouton apparaît :
C’EST UN SMOOTHIE MATCH, COMMENCER À CHATTER ?
J’appuie, avec un certain empressement, sur le bouton. Une interface de dialogue s’ouvre. Je prends quelques minutes pour faire quelques exercices avec le cou en bougeant la tête d’abord de droite à gauche, vingt fois de suite, puis vingt fois de haut en bas et me lance :
« En somme, en écrivant ces textes, je me suis toujours senti tel un expert en anatomie comparée qui certes étudie et écrit de façon technique sur la structure des organismes vivants, mais qui, dans un journal, ne cherche pas à discuter les présupposés ou les conclusions de son propre travail et se limite à suggérer, par exemple, que chaque matin il serait opportun de faire quelques exercices avec le cou en bougeant la tête d'abord de droite à gauche, vingt fois de suite, puis vingt fois de haut en bas, pour remédier aux attaques de l'arthrose cervicale. L'intention de ce « reportage social », comme on le voit, n'est pas que chaque lecteur devienne expert en anatomie, mais qu'il apprenne au moins à acquérir une certaine conscience critique de ses propres mouvements musculaires. »
— J’espère qu’en vrai tu t’appelles pas Gérard, 54 ans
Je m’apprête à envoyer et finis par me raviser. J’efface mon message puis revois mon amorce. Après 10 minutes d’hésitation, j’envoie un GIF de Lionel Richie :
— « Hello, is it me you’re looking for?».
CHAPITRE 10
Il est 20h05. On sonne à la porte. Avant d’aller ouvrir et rencontrer Manon pour la première fois en vrai, je calcule rapidement quelles vont être ses réactions lorsqu’elle va apprendre que je suis passé en statut Cerise sur mon compte FRUITZ. Je vérifie qu’il ne reste plus une miette de chips sur la moquette de ma chambre et que les vieux polaroïds Instax de mon ex sont bien au chaud cachés dans ma réplique 1/10 du
— HEYYY ! lâchai-je, en me grattant la tête, ne sachant pas comment m’y prendre pour lui dire bonjour.
Depuis le confinement, en dehors des touches de mon clavier et de ma souris, je n’ai pas interagi avec beaucoup d’êtres humains en chair et en os. J’éprouve un certain malaise à l’idée de voir Manon venir de la zone du dehors. Elle marmonne quelque chose en me montrant l’autre côté de la rue par la fenêtre.
Je ne comprends pas ce qu’elle dit mais lui souris béatement, tout content de revoir un être humain, après cette période d’isolation sociale.
Elle enlève son masque, en soie noire, dans le style de sa photo de profil FRUITZ.
En rentrant, elle scrute avec curiosité mon appartement.
— J’adore ton chez toi, c’est design.
Elle pose alors son regard en direction d’une feuille imprimée fixée par un magnet sur mon frigo. Il s’agit d’un e-mail imprimé avec la signature du fameux logo de l’oiseau aquatique à large bec aplati.
— Mais non !!! Tu bosses vraiment pour Deepflix ?
— Hum euh moi mm..oui ! Tu es abonnée ?
— J’ai créé mon compte il y a un mois ! J’avoue que c’était bizarre au début de ne pas pouvoir voir les bandes annonces ni les crédits à la fin d’un film mais on s’habitue carrément ! J’aime beaucoup partager avec mes potes les paramètres qu’on choisit et échanger sur les recettes secrètes pour créer notre film.
Je ne disais rien et écoutait Manon attentivement. Je n’avais presque pas changé l’expression de mon visage depuis que j’avais ouvert la porte. Je sens alors soudainement mon téléphone vibrer dans ma poche. Qui pouvait bien m’appeler à cette heure-ci ?
Ma mère peut-être ? Non non trop la honte de décrocher. François, mon meilleur ami d’enfance ? Je pourrais le rappeler demain. Encore mon ex ? Non non non impossible maintenant. Et si Ed avait une urgence ? Je pourrais impressionner Manon.
Elle s’aperçoit de ma gêne.
— Réponds hein ! Ne t’occupe pas de moi !
Je me dis alors, en regardant ses beaux yeux noirs et oubliant de décrocher, que je devrais lui dire qu’entre elle et moi ce serait vraiment plus cerise que pastèque.
Je regarde mes notifications :
ED ULBRICH, 2 appels manqués
Je ne veux pas froisser Ed et décide de le rappeler directement en sortant sur le balcon. Manon s’installe sur le canapé et tente malgré le double vitrage d’écouter notre conversation qui se mélange à la voix de velours de
Let me play among pas possible ? Let me sing for ever mon tableau more inactive. In other words aujourd’hui please be true tu sais quand la feature sera prête Jupiter and Mars ?
La B-side se termine et je rentre à nouveau dans l’appartement. Manon n’a pas bougé du canapé.
— Une petite bière ?
— Oui volontiers !
Au moment où j’ouvre le frigo, j’entends Manon depuis le salon :
— Ça te dirait de regarder un film ? J’ai envie de fermer les yeux et les rouvrir sur un film où tu as choisis les ingrédients ! poursuit-elle d’un ton espiègle. Tu dois connaître mieux que tout le monde comment fonctionne la génération d’un film !
Je marque un silence. Je sais qu’il m’est strictement interdit de générer mon propre film depuis mon ordinateur.
Je reviens alors dans le salon, comme si de rien n’était, avec un sourire lubrique, mon ordinateur et les deux 33 cl.
— Mais tu aimes quoi comme style ?
— Surprends-moi !
Elle ferme les yeux. J’ouvre mon terminal pour me créer en vitesse un compte et après deux trois raccourcis clavier pose l’ordinateur délicatement sur la table basse devant Manon.
— Tu es prête ?
— À ton avis ? répond-elle d’une voix impatiente de découvrir le film.
Quand elle rouvre les yeux, des ellipses verticales et horizontales dessinent un motif abstrait sur mon écran 15 pouces accompagné d’une musique
On parvient à distinguer et lire sur la banderole rouge et blanche traînée par le petit aéronef :
QUAND IL FAIT CHAUD BUVEZ, L’APPEAU D’ÉPHÈSE BEACH BAR CLUB À 1 MIN DES PLAGES suivi d’un numéro de téléphone.
J’attrape soudainement la main de Manon, dans un mouvement de panique à la vue de mon propre numéro de téléphone dans le film. Elle semble étonnée puis, esquisse un sourire de satisfaction.
— Euh tu veux une autre bière ?
Sans attendre de réponse, je me dirige d’un pas décidé vers le frigo. Quand Manon s’aperçoit que je tremblote en revenant dans le salon et que je n’arrive pas à ouvrir les bières avec mon briquet, elle prend mon bras, doucement, comme pour me calmer, elle doit penser que je suis simplement stressé. Puis, elle se rapproche subtilement sur le canapé, pose sa tête sur mon épaule et finit par enfouir son visage dans mon cou, comme un chat. Je me retrouve assailli de boucles et, noyé dans ses cheveux, alors qu’elle se serre contre moi, j’entends en fond mon ex qui rit bêtement aux blagues de
On s’embrasse enfin et alors, elle me fait oublier le goût amer de la
Des hauts parleurs stéréo de mon ordinateur on entend alors :
— 2 mots. 7 lettres. Dis les moi, et je suis à toi !
« Blair Waldorf: The true reason I should stay right where I am and not get in the car, three words, eight letters… say it and I'm yours.
Chuck Bass: I… I…
Blair Waldorf: Thank you. That's all I needed to hear. »
CHAPITRE 11
Aujourd’hui, j’ai envie de réfléchir à la question la plus banale : mais comment avons-nous pu en arriver là ? À cette situation inédite, littéralement stupéfiante. Aujourd’hui, j’ai besoin de vous raconter mon histoire en faisant entendre une voix simplement citoyenne. Aujourd’hui, j’ai besoin de votre aide parce que je ne veux plus vivre dans la peur. Je veux vivre à l’abri de l’injustice. Je veux vivre sans douleur. Je veux dénoncer un système qui traumatise, gaspille et tue des innocents. Un système qui impose la folle idée que la santé devrait être rentable, puisque tout, désormais, devrait être marchandise, jusqu’à la vie des hommes.
« Traversé par le flot incessant des commentaires, désorienté par l’addition d’analyses souvent contradictoires, j’ai tenté de réfléchir à la question la plus banale : mais comment avons-nous pu en arriver là ? À cette situation inédite, littéralement stupéfiante.[...] Comment ce pays si riche, la France, sixième économie du monde, a-t-il pu désosser ses hôpitaux jusqu’à devoir, pour éviter l’engorgement des services de réanimation, se résigner à se voir acculé à cette seule solution, utile certes, mais moyenâgeuse, le confinement ? Nous qui, au début des années 2000 encore, pouvions nous enorgueillir d’avoir le meilleur système de santé du monde. C’était avant. Avant que s’impose la folle idée que la santé devait être rentable, puisque tout désormais devait être marchandise, jusqu’à la vie des hommes. » Le problème ne sera pas résolu par l’achat d’une voiture autonome électrique, la signature de traités pour le climat ou en postant des statuts militants sur les réseaux sociaux. La racine du problème est philosophique, il s’agit de comprendre que notre civilisation est déjà morte.
« À présent, quand je scrute le futur, je vois la mer ravageant le sud de Manhattan. Je vois des émeutes de la faim, des ouragans et des réfugiés climatiques. Je vois des soldats du 82e régiment aéroporté buttant des pillards. Je vois des pannes électriques générales, des ports dévastés, les déchets de Fukushima et des épidémies. (…) Le problème que pose le changement climatique n’est pas de savoir comment le ministère de la Défense va se préparer aux guerres pour les matières premières, ou comment nous devrions dresser des digues pour protéger Alphabet City, ou quand nous évacuerons Hoboken. Et le problème ne sera pas résolu par l’achat d’une voiture hybride, la signature des traités ou en éteignant l’air conditionné. Le plus gros du problème est philosophique, il s’agit de comprendre que notre civilisation est déjà morte. »
Elle lance alors des harengs et des maquereaux aux otaries qui composent l’assistance et rugissent en cœur pour l’acclamer. Greta montait tous les jours à midi, sur son pupitre au « Pier 39 », lorsque le soleil était le plus haut dans le ciel. Elle faisait son discours, contemplant le spectacle de la ville de San Francisco jadis grande et belle, désormais renversée, désolée, perdue, envahie par les arbres sur des kilomètres à la ronde.
« Dans le roman qu’est l’histoire du monde, rien ne m’a plus impressionné que le spectacle de cette ville jadis grande et belle, désormais renversée, désolée, perdue, envahie par les arbres sur des kilomètres à la ronde, sans même un nom pour la distinguer» La nature avait repris ses droits et grimpait sur les bâtiments sur lequels on distinguait, non sans peine, quelques logos de
La vallée du silicium était devenue celle du pissenlit et des adventices qui tapissaient les rues et transperçaient le goudron.
Soudain, une
policiers mécanisés traversait la route en diffusant en boucle et de manière asynchrone sur leurs hauts parleurs : « Veuillez respecter les distances de sécurité... »
Greta interrompit sa pédicurie brusquement et aperçut sur le sommet du bâtiment
Le ballet de cyborgs canins s’arrêta subitement, le chat de Greta se pétrifia sur la banquette terrifié, la brise ne souffla plus dans les palmiers, le temps s’arrêta. Une icône « play »apparut au milieu de la scène.
— Mais pourquoi tu mets sur pause ? dit Manon avec agacement d’une voix résonnant dans la cour intérieure.
— Regarde à l’intersection de la rue sur le bâtiment ! Tu vois le panneau publicitaire ? répondis-je dans la confusion la plus totale.
— Oui et alors ?
— C’est le groupe
— Et le vernis à ongle sur le plan précédent tu crois qu’il sort d’où ?
Elle réduit la fenêtre du film et clique dans les paramètres de Deepflix, puis consécutivement sur l’onglet sécurité, accéder aux données, infos du compte,... .
« Pour découvrir tous les mots-clés qu'Instagram estime nous intéresser, il faut se rendre dans Paramètres - Confidentialité et sécurité - Accéder aux données - Pubs : Centres d’intérêt publicitaires. La même fonctionalité est également consultable sur Facebook dans les préférences publicitaires - Vos centres d'intérêts.
C'est plutôt sympa de découvrir des intérêts dont on n'avait même pas encore conscience, non ? »
Elle scrolle alors tout en bas de la page jusqu’aux centres d’intérêts :
- Décoration intérieure
- Automobile de sport
- Hip-Hop Kenyan
- Design
- Bushido
- Chat
- Danse Moderne
- Tatouages
- Huile essentielle
- Éléphant
- Plein air
- Psychologie positive
- Barbier
- Sport extrême
- Vin
- Lingerie
[... ]
Pendant qu’elle continue de descendre la liste interminable, elle reprend avec colère :
— Voilà la liste des mots-clés synthétisant ma personnalité. C’est cent fois plus précis qu’un test psychologique. Cette liste évolue, chaque seconde, en fonction de nos recherches, de nos conversations, de nos likes, de nos requêtes à
« Quand la crise sanitaire sera terminée, notre quotidien reprendra. Mais n’attendons pas un tranquille retour à la normale : la normalité est elle-même une suite ininterrompue de catastrophes. On replongera alors et sans fin dans nos effrayantes fictions apocalyptiques pour nous rassurer d’une réalité qu’on continuera de vouloir voir tout autre. La pancarte «This episode of Black Mirror sucks» pourrait ainsi devenir vraie. »
— Fous-nous la paix avec ta philosophie paranoïaque de comptoir ! Est-ce que c’est toi qui travaille pour Deepflix ?
Je balance mon ordinateur sur le carrelage. La violence du choc éjecte le bouton « play » du clavier qui virevolte au ralenti jusqu’au plafond. Il retombe ensuite soudainement, non pas sur le sol, mais dans la mâchoire béante de Buddy, le Bull Terrier de Manon, affalé au milieu du salon, qui avait observé toute la scène depuis son cou-couche panier ultra doux. Nous n’entendons maintenant plus que des « scrontch scrontch » dans le salon produit par la mastication de la pièce en plastique par les crocs du canidé.
CHAPITRE 12
Je termine ma toilette et m’enveloppe, au sortir du bain, d’une ample serviette de tissu bouclé dont seuls mes jambes et mon torse dépassent. Je prends sur l’étagère de verre, le vaporisateur et pulvérise l’huile fluide
« Colin terminait sa toilette. Il s’était enveloppé, au sortir du bain, d’une ample serviette de tissu bouclé dont seuls ses jambes et son torse dépassaient. Il prit à l’étagère de verre, le vaporisateur et pulvérisa l’huile fluide et odorante sur ses cheveux clairs. Son peigne d’ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l’aide d’une fourchette dans de la confiture d’abricots. Colin reposa le peigne et, s’armant du coupe-ongles, tailla en biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du mystère à son regard. Il devait recommencer souvent, car elles repoussaient vite. Il alluma la petite lampe du miroir grossissant et s’en approcha pour vérifier l’état de son épiderme. » Soudain, mon smartphone émet une petite vibration sur la droite de la vasque du lavabo en céramique. Il s’agit d’une notification Instagram :
« robertdowneyjr (vérifié) a démarré une vidéo en direct. »
Je déverrouille en hâte mon téléphone pour découvrir le live de Tony Stark.
Un petite statuette d’un chevalier tenant une épée entre ses mains gantées apparaît à l’écran. Il s’agit du visage en or figé d’Oscar dans une cuvette en marbre blanc sculpté sur lequel commencent à uriner en toute impunité : Robert Downey Jr, Joaquin Phœnix et
« Quand je parle de ces fêtes, je ne parle pas du barbecue du coin ou d'un rassemblement familial", décrit David Ryu, qui travaille sur une législation visant à réprimander ces amoureux de la vie nocturne. Je veux dire... littéralement des fêtes qui coûtent un million de dollars à organiser, avec des lions dans des cages, des tigres et des bébés girafes sur le tapis rouge", dit-il à l'AFP. "C'est un spectacle". » La vidéo du live est saccadée et alterne entre des moments de flou et d’ultra-netteté.
Après quelques minutes de spectacle Instagramesque,
— Hey, hey j’ai besoin de votre attention, dit-elle d’une voix tremblante et pleine d’émotion. Ça fait deux heures, là, que je vous observe tous, soi-disant amis là en train de vous mentir les uns les autres. C’est ça être acteur à Hollywood ? C’est laisser le cinéma mourir aux mains des entrepreneurs de la tech parce que votre petit confort, c’est plus important ? Vous me foutez tous les boules, tous autant que vous êtes !
« Je m’en fous de l’argent… En plus, je m’en fous. Alors t’arrête avec ça maintenant. Excusez-moi, mais j’ai pas envie de tricher. Personne ne me le demande, mais comme vous le faites tous… Ça fait quinze jours que je vous vois tous là, soit-disant amis en train de vous mentir les uns les autres. T’en a fait ton métier toi de mentir ! C’est ce que tu fais de mieux. Il me prend que vous me foutez tous les boules, tous autant que vous êtes. Toi il faut que tu en foutes plein la vue à tout le monde, même à tes amis ; surtout à tes amis pour leur prouver que toi, t’as bien réussi. Mais ça te sert à quoi Max ? Le plus gros bateau, la plus grosse maison, la carte bleue la plus bleue… Et ton cœur Max, il est comme les autres : il a deux ventricules. Tu vas pas t’en payer un troisième. Et le pire c’est que vous vous mentez à vous-même, tous autant que vous êtes là, vous vous mentez à vous-même. Vous acceptez les petits travers des autres parce que ça vous arrange. Vous vous dites amis ! Mais c’est quoi être amis ? C’est laisser votre pote tout seul à l’hosto pendant quinze jours parce que vos vacances et votre petit confort c’est plus important ! » Quand j’étais petite, j’aimais prendre des photos avec mon Kodak. N’importe où, n’importe quand mais surtout de n’importe quoi !
« Ainsi, une liberté de façade cache une standardisation en profondeur. Il y a cent ans, l’utilisateur d’un Kodak n’avait peut-être qu’à appuyer sur un bouton, mais il gardait la liberté de pointer son appareil photo sur n’importe quoi. Désormais, le slogan « Vous appuyez sur le bouton, nous faisons le reste » s’est transformé en « Vous appuyez sur le bouton nous créons le monde. » Je pouvais décider de prendre ton sourire Matt en photo ou juste ce verre de gin tonic posé là sur la rampe en fer forgé ou bien zoomer avec mon objectif sur les caustiques du fond de la piscine. Je gardais la liberté de pointer mon appareil photo où je voulais ! N’avez-vous pas cette étrange sensation que le « vous appuyez sur le bouton, nous faisons le reste » s’est transformé en « appuyez sur le bouton nous créons le monde » ?
Et si ne j’ai pas envie d’appuyer ? Vous avez déjà oublié ce qu’est le cinéma ? Un art qui filme le réel et l’aime ! Et dans art d’aimer, il y a « art » : c’est le geste qui compte !
« C’est en 1951 l’affirmation que le cinéma est un art parce qu’il filme le réel et l’aime ; et non parce qu’il essaie d’imiter les autres arts pour se faire pardonner d’enregistrer. Mais dans «art d’aimer», il y a «art» : c’est le geste qui compte, et la mission critique est de juger les gestes : comment on filme un corps ? Comment on monte deux plans, une image et un son ? Tout l’éventail du cinéma se déplie pour animer la vie, l’aimanter et l’aimer. Lynch s’extasie devant tout ce qu’il filme («c’est si beau, c’est si beau») et nous montre la vie telle qu’il la voit et telle que nous pouvons aussi la voir.» Il est où le geste sur Deepflix ? Laissez-moi tendre l’oreille, j’entends seulement des bruits de souris et de clavier. Vous croyez que nos enfants s’amusent ? Leurs derniers centimètres cubes de cerveau sont juste en train d’être reconfigurés. Vous n’avez pas remarqué qu’ avec sa petite barbe ridicule, Ed veut juste se faire mousser et épater la galerie ! Il joue au petit malin mais derrière son caquetage volubile c’est une ordure... ! Il veut faire de nous tous l’homo sapiens idéal du marché, le plus ajusté à l’offre, le plus proche de l’homo economicus, l’agent rationnel dépourvu d’émotions !
« Un être aux désirs prédits et définis d’avance, donc un être sans désir. Dont la prédiction, des comportements sera toujours plus affinée, plus juste, puisque à chaque moments d’obéissance il ajoute de l’historique dans son historique, du passé dans son passé, et que c’est cette formidable somme de choix passés qui fournit la matière de la prédiction quant à l’avenir. Il est l’homme idéal du marché, le plus ajusté au marché, à l’offre, le plus proche de l’homo economicus, l’agent rationnel dépourvu d’émotions, fantasmé par les théories économiques néoclassiques et néolibérales.» Je pensais que le cinéma existait pour animer la vie, l’aimanter et l’aimer !
« C’est en 1951 l’affirmation que le cinéma est un art parce qu’il filme le réel et l’aime ; et non parce qu’il essaie d’imiter les autres arts pour se faire pardonner d’enregistrer. Mais dans «art d’aimer», il y a «art» : c’est le geste qui compte, et la mission critique est de juger les gestes : comment on filme un corps ? Comment on monte deux plans, une image et un son ? Tout l’éventail du cinéma se déplie pour animer la vie, l’aimanter et l’aimer. Lynch s’extasie devant tout ce qu’il filme («c’est si beau, c’est si beau») et nous montre la vie telle qu’il la voit et telle que nous pouvons aussi la voir.» Tous autant que vous êtes vous vous mentez à vous-même.
Elle regarde
— N’est-ce pas toi qui nous montre la vie telle que tu la vois et telle que nous pouvons aussi la voir ?
— Ce sont des cercles successifs d’amour qui font qu’on aime un film, reprend-elle. Le sentiment mis sur tout, l’attention à tout, à chaque détail, à la dialectique de l’ensemble, un tel amour du travail que certains en meurent à la tâche. L’art d’aimer ce qu’on fait, avec qui on le fait et pour qui on le fait !
« Toutes les puissances du cinéma peuvent et doivent se déplier à partir de ce cœur qu’est l’amour. Ce sont des cercles successifs d’amour qui font qu’on aime un film. Le sentiment mis sur tout, l’attention à tout, à chaque détail, à la dialectique de l’ensemble, un tel amour du travail que certains en meurent à la tâche. L’art d’aimer ce qu’on fait et avec qui on le fait et pour qui on le fait. »
Elle meurt sur le coup dans une explosion d’emojis. Les sirènes de la police et des hélicoptères grondent au loin dans la vallée de San Fernando.
« Ce live est maintenant terminé. »
Comme si de rien n’était, je vide mon bain en perçant un trou dans le fond de la baignoire. Je glisse mes pieds dans mes pantoufles en fourrure synthétique et revêts mon élégant peignoir
« Il vida son bain en perçant un trou dans le fond de la baignoire. Le sol de la salle de bains, dallé de grès cérame jaune clair, était en pente et orientait l’eau vers un orifice situé juste au-dessus du bureau du locataire de l’étage inférieur. Depuis peu, sans prévenir Colin, celui-ci avait changé son bureau de place. Maintenant, l’eau tombait sur son garde-manger. Il glissa ses pieds dans des sandales de cuir de roussette et revêtit un élégant costume d’intérieur, pantalon de velours à côtes vert d’eau très profonde et veston de calmande noisette. Il accrocha la serviette au séchoir, posa le tapis de bain sur le bord de la baignoire et le saupoudra de gros sel afin qu’il dégorgeât toute l’eau contenue. Le tapis se mit à baver en faisant des grappes de petites bulles savonneuses.
Il sortit de la salle de bain et se dirigea vers la cuisine, afin de surveiller les derniers préparatifs du repas.»
CHAPITRE 13
Harry Potter, en pantalon de lycra, chemise non repassée, chaussures non cirées, est assis derrière le bureau, l’air hagard. Dans un coin du bureau, une page déchirée virevolte au gré des rafales de vent qui passent par une vitre brisée. Harry, l’index posé sur la détente d’un 38mm, rumine devant une photo. Sur la photo, une ravissante rousse, aux cheveux ondulés, portant une robe de soirée, un cocktail dans une main, une cigarette dans l’autre. Une larme perle sur sa joue. Harry la regarde pendant un long moment, soupire, puis pose son arme et se lève. Il ajuste sa chemise, se gratte la tête et, avec détermination, prend son pistolet et quitte le bureau. Il traverse le couloir et regarde par la fenêtre. Une vieille femme est en train de laver le trottoir à l’extérieur avec une serpillère. Un jeune homme en costume gris, à double boutonnage, s’appuie contre le bâtiment. Harry soupire à nouveau et sort par la porte. Il s’avance vers le jeune homme et sans même un mot, lui donne un coup de poing dans la mâchoire...
« Harry Potter, in ratty tweed suit, unpressed shirt, and unshined shoes, sits behind the desk looking haggard, rumpled, and embittered. In one corner of the office a torn shade rattles at the wind gusts outside. Harry has one long index finger on the butt of a .38 and he broods over a photograph. The photograph shows a gorgeous blonde wearing an evening gown. She is holding a cocktail in one hand and looking pensively at a cigarette in the other. A tear adorns her cheek. Harry looks at her for a long moment, sighs, then puts his gun down and stands. He straightens his clothes, scratches his head, then with more resolution turns around, picks up his pistol, and leaves the office. He passes through the front room and looks out the dirty window. An old woman is washing the sidewalk outside with a mop. A young man in a double breasted gray suit is leaning against the building. Harry sighs again and goes out the door. He walks up to the young man and without ceremony punches him in the jaw.»
Il s’adresse alors au spectateur derrière son écran :
— Envie de voir Harry Potter 9 ? Deepflix c’est exactement ce que vous attendiez ! On peut commencer un film sur sa télé !
« Et puis commencer un film sur sa télé...Et pouvoir le continuer sur sa tablette ou son mobile, c’est plutôt cool non ? Et le contrat ? C’est simple, on peut se désabonner quand on veux ! Maintenant, c’est à vous de voir, mais honnêtement ça devrait vous plaire. Je vous laisse on attaque la saison 2 ! Regardez séries et films instantanément via votre smartTV, mobile ou tablette. »
D’un coup de baguette magique, il fige l’action.
— Et continuer sur sa tablette ou son mobile.
Un
— Libérez votre imagination !
[Voix off d’une pub sponsorisée Youtube]
DEEPFLIX, INSPIRÉ PAR VOUS ET POUR VOUS !
DISPONIBLE DÈS MAINTENANT VIA VOTRE SMART TV, MOBILE OU TABLETTE.
[Musique d’intro : « A Diary of Winter » d’AIVA, Jimmy Fallon entre en scène]
— Bonjour à tous et bienvenue à la 1ère Cérémonie des Vaucansons d’Or. C’est un grand honneur pour moi ce soir d’avoir été choisi par Ed Ulbrich de Deepflix pour présider cette première cérémonie.
« Good evening and welcome to the Academy Awards ! This really is the biggest movie event of the yearand we are here to honor all this year's incredible film and the actors and actresses that have started them now the Academy loves to salute range like Kate Winslet ladies and gentleman... »
— Voici la liste des nominations dans la catégorie meilleurs films générés par les abonnés HOLO PREMIUM :
Mother of the Year One généré par Samanta24
L’une Danse, l’Autre Parle généré par Vincentcassel_official
A Single Woman on Fire généré par 18Bresson
Candycat généré par Tchekhov-A
Children of Paradise généré par Tarkovski-B
Old Boyz n the Wood généré par Hipopadu75mm
1000 Leagues Under the Seabiscuit généré par MarcosUzal
Eat Pray Love & Simon genéré par
— Nous avons Tarkovski-B qui nous rejoint en direct depuis Miami ! Bonjour Tarkovski-B, merci d’être avec nous pour cette prestigieuse cérémonie ! Je crois que tout le monde se pose la question ce soir à l’annonce de cette liste des nominés : Quelle est votre recette secrète pour générer vos films ?
— Bonjour Jimmy ! J’essaye toujours de trouver des ingrédients contradictoires, des associations improbables pour créer quelque chose d’unique ! Un peu comme dans les musées de figure de cire de la côte Californienne où l’on peut trouver un café style « front de mer de Brighton »,
« Comme dans une nouvelle de Heinlein ou d'Asimov, on a l'impression d'entrer et de sortir du temps dans un brouillard spatio-temporel où les siècles se confondent. C'est ce qui nous arrivera dans l'un des musées de figures de cire de la côte californienne lorsque nous verrons, dans un café style « front de mer de Brighton », Mozart et Caruso à la même table, avec Hemingway debout derrière pendant que Shakespeare à l'autre table converse avec Beethoven, une tasse de café à la main.»
En parallèle, la barre symbolique des 10 millions de spectateurs sur le live est dépassée et une vague d’emojis et commentaires afflue sur le tchat :
capucinereceveur
C’est un moment d’histoire que nous vivons !!
licornesdesbois
Jimmy je l’aime tropppp<3
dolan04
Les Vaucansons d’Or = Des IA qui décernent des prix à d’autres IA pour remplir les poches de multi-millionnaires.
[...]
CHAPITRE 14
Posté par dalma49 il y a 10 jours
Après plusieurs heures de recherche sur
« Après des heures et des heures de recherches sur Google, j’avais enfin fini par trouver le cadeau parfait pour ma femme. Une séance de relaxation bien particulière, de la méditation en immersion dans de l’eau chaude. On était en novembre, bien avant Noël, et j’étais ravi d’avoir pris « de l’avance » dans mes cadeaux. Mais pendant les semaines qui ont suivi, des publicités pour des soins proches de ceux que je venais de commander s’affichaient partout - dans mon fil d’actualité Facebook, sur Amazon, sur YouTube, et plus globalement, sur quasiment tous les sites où je me rendait. Jusqu’au jour où ma femme a fini par voir l’une de ces pubs, et par se montrer intéressée par cette relaxation si originale. Et voilà, surprise gâchée. En fait, il m’est arrivé exactement la même chose par le passé, il y a déjà six ou sept ans, lorsque j’ai dû faire une croix sur un magnifique sac à main bleu, qui est apparu dans une publicité de mon fil Facebook, juste au moment où ma femme (petite-amie à l’époque) se trouvait assise à côté de moi. » Mais vous savez quoi ? Depuis une semaine, des bains du même type apparaissent dans presque chacun des films qu’on regarde ensemble : du péplum, à la comédie romantique jusqu’au film d’espionnage, de lundi dernier, dans lequel
Posté par u/yugnat666 il y a 4 jours
Il m’est arrivé pratiquement la même chose la semaine dernière, lorsque j’ai dû faire une croix sur un magnifique sac à main rouge que j’avais repéré pour ma copine. Il est apparu dans une Comédie musicale dans laquelle
Posté par macda il y a 2 heures
Pfffff vous me faîtes pitiééé avec vos histoires enfaiteee ! Moi j’adoreeee Deepflix. Par exemple, quand j’ai absolument envie d’un cadeau, je m’enferme aux toilettes avec l’ordinateur de mon mec pour répéter près de son micro des noms de produit que j’ai repérés sur le site de
En réponse à macda il y a 10 minutes
Le vrai amoureux est celui qui cherche l’intérêt de l’amour, mais pas l’amour de l’intérêt. Je te laisse méditer là-dessus macdaaaa...
« Le vrai amoureux est celui qui cherche l'intérêt de l'amour, mais pas l'amour de l'intérêt. »
Posté par rocketman il y a 1 heure
Vous me faites rire à parler de sac à main et autres soins de relaxation. Moi mon mec s’est fait retourner le cerveau à cause de cette mouscaille de Deepflix. On a regardé une série dans laquelle une professeur de collège propose à ses élèves une expérience ayant pour but de leur expliquer comment fonctionne une société LGBT totalitaire. Au bout de quelques jours, ce qui avait débuté par l’apprentissage du polyamour, devient alors un véritable mouvement : MITOU. Le 5ème jour, les étudiants commencent à exclure et persécuter ceux qui ne sont pas ralliés à leur cause. La professeur décide de mettre fin à l’expérience. Mais il est trop tard. MITOU est incontrôlable tout comme la sexualité de mon mec depuis cette série.
« Pendant une semaine d’atelier, un professeur de collège propose à ses élèves une expérience ayant pour but de leur expliquer comment fonctionne un régime totalitaire. Commence alors un jeu de rôles aux conséquences tragiques. Au bout de quelques jours, ce qui avait débuté par des notions inoffensives telles que la discipline et l’esprit communautaire, devient alors un véritable mouvement : La vague. Le 3e jour, les étudiants commencent à exclure et persécuter ceux qui n’ont pas rallié leur cause. Quand le conflit éclate et tombe dans la violence lors d’un match de water-polo, le professeur décide de mettre fin à l’expérience. Mais il est trop tard. La vague est incontrôlable.» Cela fait un mois qu’il est parti de la maison et je suis en dépression...
Posté par borat94 il y a 1 jour
Vous voulez le synopsis des derniers films que nous avons générés avec mes collocs ? Toutes les semaines, une histoire de bombe dans une église, une école, une station balnéaire...avec des musulmans dans le coup. Nous avons remarqué que la combinaison Comédie politique avec comme acteur
Posté par ludo26 il y a 1 heure
Dans l’historique de mes films, il n’y a ni histoire politique ou économique, personne ne fait allusion à la Première ou la Deuxième Guerre mondiale ou à la question des minorités ethniques. On ne voit passer ni Indien, ni Noir, ni Mexicain. Comment est-ce possible de générer des contenus aussi aseptisés ?
« Dans Dallas, il n’y a ni roman ni histoire politique ou économique. On ne prononce le nom d’aucun président des États-Unis, personne ne fait allusion à la guerre du Viêtnam ou à la question des minorités ethniques, on ne voit passer ni Indien, ni Noir, ni Mexicain. »?
Posté par obfuscatoor il y a 10 minutes
Moi j’utilise les plugins et extensions Spellfuckerr pour mes recherches internet. Et comme ça j’ai aucun de vos problèmes et je me fais juste plaisir à générer des nouveaux
— Quentin tu viens dormir ? J’ai envie d’un massage.
— J’arrive petit chat ! Juste deux secondes !
24 posts Reddit et 5 onglets plus tard, je suis toujours dans les toilettes en train de finir la lecture d’un article sur mon smartphone les genoux rougîts et endoloris par mes coudes...
... Ce nouveau service de streaming Deepflix est une hérésie culturelle, les films produits par une Intelligence Artificielle sont une culture de la conserve qui cherche à donner l’illusion du frais. Grâce au froid n’importe quel plat de grande cuisine, figé à l’instant où il sort des mains du chef peut ressusciter à volonté. Le surgelé réalise pleinement un pur énoncé alimentaire ; n’exigeant, comme un film généré par une IA, ni préambule culinaire ni rituel social. Le visionnage, tel que nous le pratiquons, silencieux, solitaire et quotidien, coïncide exactement avec ce surgelé en portion individuelle, qu’on choisit uniquement pour soi et qu’on mangera seul, sans aucun souci des autres ni des convenances. « Quelques secondes suffisent et vous avez devant vous un plat de grande cuisine, un Canard Colvert braisé qui ressuscitera pour vous les fastes culinaires des chasses de Chambord. » En réalité, réchauffée au four à micro-ondes en quelques instants, cette cuisse de Canard Colvert ne restituera rien de la chaude atmosphère qui jadis accompagnait les repas de chasse, rien du plaisir des longs préparatifs dans la cuisine, de l’odeur des plumes brûlées, des croûtons grillés, du gibier qui mijote. De la même façon un film sur Deepflix est sans réelle musique, sans réelles voix, sans réelles images et sans réelles couleurs. Il appartient à l’utilisateur de donner lui-même un visage au personnage et un sens à l’histoire. Et il le fera en puisant dans son historique de navigation personnelle. Qui le spectateur retrouve t-il au cours de ses visionnages, dans ce long tête-à-tête avec ses propres cookies. Sinon lui-même ?
« Vue du banquet homérique, notre pratique de la littérature est une culture de la conserve qui cherche à donner l’illusion du frais. Nos techniques de conservation se perfectionnent sans cesse. On est passé de l’écriture au disque puis à la bande magnétique, la boîte de conserve a remplacé les salaisons, puis le surgelé les boîtes de conserve, Grâce au froid n’importe quel plat de grande cuisine, figé à l’instant où il sort des mains du chef peut ressusciter à volonté. Le surgelé réalise pleinement un pur énoncé alimentaire, n’exigeant comme un livre ni préambule culinaire ni rituel social. La lecture, telle que nous la pratiquons, silencieuse, solitaire et quotidienne, coïncide exactement avec ce surgelé en portion individuelle, qu’on choisit uniquement pour soi et qu’on mangera seul, sans aucun souci des autres ni des convenances. « Quelques secondes suffisent et vous avez devant vous un plat de grande cuisine, un faisan Grand Veneur qui ressuscitera pour vous les fastes culinaires des chasses de Chambord. » En réalité, réchauffée au four à micro-ondes en quelques instants, cette cuisse de faisan Grand Veneur ne restituera rien de la chaude atmosphère qui jadis accompagnait les repas de chasse, rien du plaisir des longs préparatifs dans la cuisine, de l’odeur des plumes brûlées, des croûtons grillés, du gibier qui mijote. De la même façon un roman est sans musique, sans voix, sans images, et sans couleurs. Il appartient au lecteur de donner lui-même un visage au personnage et un sens à l’histoire. Et il le fera en puisant dans sa mémoire personnelle. Qui le lecteur retrouve t-il au cours de sa lecture, dans ce long tête-à-tête avec le narrateur. sinon lui-même ? »?
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« On ne peut pas changer une partie de l’homme sans changer l’homme »
« Au détour d’une page Facebook, on apprend la création d’une entreprise française spécialisée dans la génétique, la biologie, l’informatique et les sciences du cerveau. Son nom ? Trans K. En quelques semaines, 5 000 internautes suivent avec intérêt les publications de cette société qui souhaite « augmenter l’homme ». Derrière ce projet, un coup de com’ visant à promouvoir le premier roman de François-Régis de Guenyveau, Un dissident (Albin Michel, 2017). L’ouvrage s’attaque aux problématiques posées par l’idéologie transhumaniste et se construit comme un récit initiatique dans lequel Christian, jeune scientifique prodige, remet en cause la recherche de la perfection humaine. »
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Je tire la chasse d’eau et rejoins Manon, à pas de loup, en évitant soigneusement de marcher sur les parties les plus sonores du parquet à chevrons en chêne blond. Quand j’arrive dans la chambre, je l’aperçois en train de dormir, enroulée dans la couette de soyeux coton égyptien. L’huile de massage est posée sur mon oreiller. Son ordinateur est ouvert sur un onglet Gmail :
Bonjour,
Nous vous écrivons pour vous informer d’un problème technique qui a affecté la fonctionnalité « Sauvegarder votre film »pour les comptes Premium Holo entre le 21 et le 28 Juin, date à laquelle le problème a été réglé :
« Hello, We are writing to inform you of a technical issue that affected the Google 'Download your data' service for Google Photos between November 21, 2019 and November 25, 2019, when it was fixed: Between November 21, 2019 and November 25, 2019, our records show you requested a Google 'Download your data' export, which included Google Photos content.Unfortunately, during this time, some videos in Google Photos were incorrectly exported to unrelated users' archives. One or more videos in your Google Photos account was affected by this issue. If you downloaded your data, it may be incomplete, and it may contain videos that are not yours.The underlying issue has been identified and resolved. We recommend you perform another export of your content and delete your prior export at this time. We apologize for any inconvenience this may have caused. For further assistance,\ncontact Google Support. Please ensure you are signed in to the correct account when contacting support.»
> Entre le 21 et le 28 Juin, l’historique sur nos serveurs nous montre que la fonctionnalité du service Deepflix « Sauvegarder votre film » a causé des problèmes.
> Malheureusement, pendant cette période, certains films que vous avez générés ont été incorrectement exportés vers des comptes d’utilisateurs non associés. Un ou plusieurs films de votre compte Deepflix ont été affectés par ce problème.
> Si vous avez sauvegardé votre film, il peut être incomplet ou même contenir des extraits de films qui ne sont pas les vôtres.
> Le problème en question a été identifié et résolu. Nous vous recommandons désormais de supprimer les sauvegardes effectuées aux dates mentionnées ci-dessus.
Nous vous prions de bien vouloir nous excuser pour la gêne occasionnée. Pour toute aide supplémentaire, contactez l’assistance du service Deepflix.
CHAPITRE 15
2 ans plus tard. À
« À Chicago et Calcutta, Londres et Saint-Pétersbourg, Tokyo et Berlin ainsi que dans des milliers d'endroits de moindre importance, les images cinématographiques allaient apaiser des publics confrontés hors de la salle de cinéma à un environnement chargé d'informations de plus en plus denses, un environnement auquel ils ne pouvaient plus faire face adéquatement au moyen de leur propre système d'échantillonnage et de traitement de données : leur cerveau. Les voyages de détente effectués à intervalles périodiques dans les salles obscures des cinémas étaient devenus une technique de survie routinière pour les sujets de la société moderne. » Deepflix est devenu le fils de la conscience malheureuse d’un présent sans épaisseur.
« Ailleurs le désir spasmodique du Presque Vrai naît simplement d'une réaction névrotique devant le vide des souvenirs : le Faux Absolu est fils de la conscience malheureuse d'un présent sans épaisseur.» Quand on traverse les villes et villages après 8 heures du soir, les rues sont vides, les cafés fermés, et l’on aperçoit, derrière les fenêtres des maisons et des appartements, l’éclat lumineux d’un écran sur lequel, signant chaque démarrage de film, un canard se dandine.
« Quand on traverse les villages français après 8 heures du soir, les rues sont vides, les cafés fermés, et l’on aperçoit derrière les fenêtres du rez-de-chaussée, à moitié voilées de dentelles blanches, l’éclat lumineux d’un écran dans une pièce sombre. »
« Bonjour Quentin, nous sommes ravis de vous revoir !
Générez le film ou la série de vos rêves en quelques clics ! »
— Cette fois, c’est la dernière ! me répétais-je à mi-voix. Il ne faut pas que je me trompe !
Je sélectionne alors d’une main tremblotante le genre SF, puis scrolle savamment, le menu déroulant des meilleurs acteurs et actrices de tous les temps. Mon choix s’arrête sur Matthew McConaughey.
Pour le choix du réalisateur, sans hésiter, je clique sur
...
generate/lights/translating/generate scriptscalling
calling startuppanels/render face/render environments facial_action_coding_system..
calling DCGAN/calling discriminator/kernel_size=(0, 0)
...
10 minutes plus tard, après un générique grandiose, une voix-off étrangemment familière résonne, j’apparaîs à l’écran :
— Je me réveille au son de
« La réalité semble avoir imité, voire attesté, la fiction. Sommes-nous devenus des personnages réels d’une série apocalyptique dont la fin reste indéterminable ? Malgré les troublants rapprochements visuels, une série Netflix qui filmerait tel quel l’épidémie du Covid-19 risquerait d’être ennuyeuse. Il n’y a rien de spectaculaire dans notre quotidien au temps de l’épidémie. »
Une barre de chargement s’affiche soudainement à l’écran suivie d’un message :
RW4gZGlzYW50IHF1ZSBtb24gbWVtb2lyZSBldGFpdCB1biBtZW5zb25nZSwgaidhaSBtZW50aSBlbiBwcmV0ZW5kYW50IG1lbnRpci4gRW4gZWNyaXZhbnQgRGVlcGZsaXgsIGonYWkgZGVjaWRlIGRlIGRldmVuaXIgZGVsaWJlcmVtZW50IHVuZSBzb3J0ZSBkJ2FydGlzYW4gZHUgY29kZSBhbHBoYW51bWVyaXF1ZSwgdW4gcHNldWRvLWVjcml2YWluLCBxdWkgb3JnYW5pc2UgbGEgbWFuaXB1bGF0aW9uIGNvbnNjaWVudGUgZGUgYm91dHMgZGUgbGFuZ2FnZSBwcmVleGlzdGFudHMuIE4nZXN0LWNlIHBhcyBub3VzLW1lbWVzIHF1ZSBub3VzIGV4cHJpbW9ucyBkZSBmYWNvbnMgZGlmZmVyZW50ZXMgbG9yc3F1J29uIGZhaXQgcXVlbHF1ZSBjaG9zZSBkJ2F1c3NpIG1lY2FuaXF1ZSBxdWUgcmVjb3BpZXIgcXVlbHF1ZXMgcGFyYWdyYXBoZXMgPyAKClVuIGZyYWdtZW50IGRlIFNjb3JzZXNlLCB1biBhY2NlbnQgZGUgQ2FsdmlubywgdW4gYXJ0aWNsZSBkZSBMaWJlcmF0aW9uLCBkZXV4IHBhcmFncmFwaGVzIGRlIFZpYW4sIHNlcnZleiBjaGF1ZCBhdmVjIHVuIHplc3RlIGRlIEJhdWRyaWxsYXJkLiBDaGFuZ2V6IHVuIG1vdCBpY2ksIGxhIHBvbmN0dWF0aW9uIGxhLCBsJ2Vzc2FpIGFudGhyb3BvbG9naXF1ZSBkZXZpZW50IHVuZSBmaWN0aW9uIGQnYW50aWNpcGF0aW9uLi4uIAoKSmUgdm91cyBpbnZpdGUgbWFpbnRlbmFudCBhIHNjYW5uZXIgbGEgY291dmVydHVyZSwgdW4gY2hhcGl0cmUgYXUgaGFzYXJkLCBkZXMgcGFyYWdyYXBoZXMgaWNpIGV0IGxhIG91IHNpbXBsZW1lbnQgcXVlbHF1ZXMgbW90cyBmYWlyZSBhcHBhcmFpdHJlIGxlcyByb3VhZ2VzIGRlIERlZXBmbGl4Lgo=VW5lIGZvaXMgbCdpbGx1c2lvbiBkZSBsJ2F1dG9tYXRpb24gaW50ZWxsaWdlbnRlIGRpc3NpcGVlLCBqZSB0aWVucyBhIHJlbWVyY2llciBpbmZpbmltZW50IHRvdXRlcyBsZXMgcGVyc29ubmVzIHByZXNlbnRlcyBkYW5zIGxlcyBjb3VsaXNzZXMgZGUgY2UgdGhlYXRyZSBkZSBtYXJpb25uZXR0ZXMgRGVlcGZsaXhpZW4uIEplIHZldXggZmFpcmUgYXBwYXJhaXRyZSBsYSByZWFsaXRlIGR1IGRpZ2l0YWwgbGFib3IgOiBsJ2V4cGxvaXRhdGlvbiBkZXMgcGV0aXRlcyBtYWlucyBkZSBsJ2ludGVsbGlnZW5jZSA8PCBhcnRpZmljaWVsbGUgPj4gZGUsIGNlcyBteXJpYWRlcyBkZSBtaWNyb3RyYXZhaWxsZXVycyByaXZlcyBhIGxldXJzIGVjcmFucyBxdWksIGNvbmZpbmUgYSBkb21pY2lsZSBzZSBzb250IGF0dGVsZXMgYSBsYSBsZWN0dXJlIGV0IHJlbGVjdHVyZSBldCBkZSBtb24gbWVtb2lyZSA6IAoKPG
7.
Ibid., , ,10.
Ibid., , ,14.
, « Comment Netflix a changé le monde du divertissement et vers quoi se dirige-t-il ? », TED, 201815.
Ibid., , ,35.
Ibid, p.87., , ,44.
Ibid., , ,51.
Ibid., , ,52.
Ibid., , ,53.
Ibid., , ,66.
Ibid., , ,71.
Ibid., , ,75.
Ibid., , ,85.
Ibid., , ,